jeudi 26 mars 2009
Riez, c’est un ordre !
De Guillon aux Guignols, les bouffons font la loi
Elisabeth Lévy
Jamais anarchistes n’auront été si fastueusement couronnés. Si les Guignols et tous leurs émules avaient un peu de bon sens – en plus d’être dépositaires officiels de l’esprit satirique national – ils auraient fui à toute allure les festivités organisées pour leurs vingt ans. “Les Guignols, c’est la grand-messe” : cette phrase n’a pas été prononcée par un ronchon conformiste, réactionnaire et inaccessible à cet humour si corrosif que l’on n’appelle plus que « l’humour Canal » mais par la présentatrice du JT de la chaîne. Grand-messe ? La métaphore qui fleure l’Inquisition, les Croisades et Benoît XVI aurait dû faire bondir les intéressés. Rien du tout. Tous se sont, au contraire, montrés fort satisfaits des marques de déférence qui leur ont été dispensées à foison. “Meilleurs éditorialistes de France” par-ci, “seuls opposants à Sarkozy” par-là, puis encore “héritiers de Molière et La Fontaine” et aussi “indispensables garde-fous de la démocratie” ou “symboles de la liberté d’expression à la française” : dans ce registre de bondieuserie cool et moderne, aucun lieu commun n’aura été épargné aux malheureuses marionnettes et surtout aux malheureux Français. L’esprit de sérieux (l’une des pires menaces qui pèsent sur l’humanité) n’est jamais aussi lourd et désolant que lorsqu’il s’abat sur l’humour lui-même.
On me conseillera comme toujours d’éteindre ma télé. Libre à chacun de se priver du spectacle du monde, cela n’est pas ma pente. En vérité, le sacre des Guignols et des humoristes dérangeants rangés sous la bannière de Stéphane Guillon, est un événement considérable. Les bouffons sont devenus rois. Mais ils continuent à se prétendre bouffons. Et nous marchons, ou, pire encore, nous faisons semblant – situation parfaitement orwellienne d’imposture partagée où le conformisme passe pour subversif et l’idéologie dominante pour l’esprit de résistance.
L’affaire Guillon avait préparé les esprits au putsch des amuseurs. Putsch soft, au demeurant improvisé à partir d’un incident. Un ancien ministre mal réveillé se prend en pleine figure les blagues au vitriol d’un type payé pour jouer le garnement et qui le fait très bien. Comme les blagues reposent sur ses frasques réelles, et qu’il a oublié que la règle numéro un de ce jeu de cons est de faire bonne figure et d’affirmer qu’on trouve ça hilarant, il fait savoir qu’il n’est pas content. Accessoirement, il a aussi oublié que quand on se fait pincer la main dans le pot de confiture, il faut assumer. Bref, il grogne, pas très fort d’ailleurs. “C’est méchant et pas drôle.” Immédiatement la machine à réécrire l’histoire se met en marche. Sur internet, la chronique de Guillon “fait” des centaines de milliers de connections. La rumeur enfle : DSK veut sa peau. Le président de la République qui essayait sans doute de faire savoir subtilement à Guillon tout le bien qu’il lui veut, y va de sa petite phrase. Là, c’est la légion d’Honneur. Sarko demande sa tête ! Il vient de gagner ses galons de martyr pour le jour où ses employeurs voudraient se séparer de lui. Au moins dans son triste exil, retrouvera-t-il d’autres résistants tombés au combat contre le tyran comme PPDA et Alain Genestar – ça va être fun dans le camp de travail. En sera-t-il réduit, comme ce pauvre PPDA à officier sur Arte ? On n’ose imaginer une telle issue.
C’est l’émeute. Guillon est invité sur tous les plateaux à exposer avec solennité la haute conception qu’il a de sa mission d’intérêt général. “Le seul critère, c’est que ça fasse rire.” Quelle fulgurance ! Quelle hauteur de vue ! Quel courage ! La presse serre les rangs, consacre dossiers et analyses au Jean Moulin des ondes et des écrans. Pas un jour ne se passe sans que l’un des confrères du héros en remette une louche en signe de solidarité. Le pouvoir n’a qu’à bien se tenir. Nous ne sortirons que par la force des baïonnettes. De plus, Guillon est un fusil à deux coups. Son admirable courage rejaillit sur son employeur Jean-Paul Cluzel dont le départ était programmé par l’Elysée depuis belle lurette. Il sera désormais admis de tous que le président a décidé de le débarquer à cause de Guillon. (La plupart des confrères, probablement choqués sans oser l’avouer, ont assez vite renoncé à le défendre sur le coup du calendrier d’Act up pour lequel il a posé torse nu et le visage masqué. Il est vrai que lui-même a confessé une faute de goût ; sans doute a-t-il jugé qu’il serait assez hasardeux d’accuser Sarkozy d’homophobie.) Daniel Schneidermann dont l’obsession sarkozyste peut tempérer la justesse d’analyse tombe dans le panneau tête baissée : “Si le pouvoir cherche à déstabiliser Cluzel pour se débarrasser des impertinents de France Inter, écrit-il, il trouvera mille discours d’accompagnements.” Hier, Jean-Marie Colombani se rengorgeait parce que, disait-il, “Le Monde fait peur”. Désormais ce sont les Guignols qui font peur. Tremblez, puissants !
Dans cette hilarante ambiance d’union sacrée autour d’un pauvre comique sans défense, le sacre des Guignols ne pouvait mieux tomber. Là, pas d’improvisation. Les festivités, organisées par les idoles que l’on célébrait, furent aussi fastueuses que celles que donnaient autrefois les souverains pour une naissance ou un mariage princier. Hélas, le bon peuple n’est plus invité à se réjouir et à faire bombance et libations jusqu’à rouler sous la table, mais à se masser devant ses écrans et à se goberger de spots publicitaires. Nos nouveaux rois ne peuvent pas lever l’impôt, il faut bien qu’ils vivent. D’ailleurs, leur pouvoir est le plus démocratique qui soit puisqu’il repose sur l’audimat. Un incomparable sujet d’émerveillement pour les commentateurs que ces audiences dopées et ventes qui s’envolent. L’impertinence paye. Pas trop mal d’ailleurs.
Pendant que nous étions plantés devant nos télés, les célébrités ont bien dû avoir droit à quelques soirées à la mode d’avant, avec du vrai champagne et du pipole en veux-tu en voilà. Mais ne soyons pas chien, pour vous et moi, ils n’ont pas lésiné. Le gratin de l’humour et de la politique a défilé sur le plateau de Canal pour rendre hommage à ses maîtres. Les plus grandes gloires du journalisme bankable, ceux et celles qui ont une chance de passer à la fois dans Gala et dans Match, ont été invitées à dire leur petit compliment. Idée géniale et tellement innovante, la rencontre entre la caricature et l’original a été déclinée sous diverses formes, le personnage réel étant de toute façons invité à dire tout le bien qu’il pense de sa marionnette – on aurait aimé un Jean-Louis Debré un peu moins copain et un peu plus président du Conseil constitutionnel. Certes, les Guignols ont raté un gros coup, Chirac ayant décliné la proposition. Aucun humour, celui-là, et même pas la reconnaissance du ventre, puisqu’il a été décrété que l’ancien président devait son siège et sa popularité à sa marionnette (ce qui est peut-être vrai d’ailleurs).
À entendre les responsables politiques rivaliser dans la flagornerie à l’endroit de ceux qui se paient leur tête, on comprend qui a le pouvoir. “Les Guignols sont toujours aussi mordants”, affirme Le Parisien. Tellement mordants que la plupart des personnalités interrogées se débrouillent pour ne pas en dire de mal. “Ma marionnette me fait beaucoup rire” (Xavier Bertrand, type cool) ; “Je suis un fan inconditionnel… Mais je préfère la marionnette des autres à la mienne” (Jack Lang, comique involontaire) ; “C’est une forme de reconnaissance” (Yves Jégo, ministre méconnu). Pas très enthousiaste, Bayrou s’arrache cependant quelques mots aimables : “Au-delà du désagrément, il peut être utile de se faire cibler par les humoristes.” Même Le Pen juge que les Guignols sont parfois “drôles et impertinents et parfois convenus”. Faire rire Le Pen, c’est grave, non ? Heureusement, Philippe de Villiers est ouvertement hostile : non seulement il ne se reconnaît pas dans sa marionnette “catholique intégriste” et “xénophobe”, mais il en a marre que les gens croient l’avoir vu à la télé alors qu’il n’y passe presque jamais, beaucoup moins en tout cas que son double de latex. On vous l’avait bien dit : il est coincé, celui-là.
C’est François Hollande qui crache le morceau. S’il ne s’aime pas trop en benêt (encore qu’il préfère “passer pour un couillon” que pour un “salopard cynique”) il n’a “aucun doute sur le fond culturel des Guignols basé sur des valeurs progressistes”. Nous voilà soulagés et affranchis du même coup. Ce qu’on aime dans les Guignols, c’est qu’ils pensent comme tout le monde. Sous couvert d’impertinence, nos amuseurs ne font que répéter ce qui se dit partout à longueur d’antenne et de colonnes. Sarkozy est méchant, le Pape est méchant, Bush est méchant, Le Pen est méchant, les patrons sont méchants, nos redoutables trublions récitent chaque jour le catéchisme de la gauche convenable.
Peut-être que les sans-papiers, les malades du sida et les ouvriers licenciés aimeraient bien, eux aussi, qu’on se foute de leur gueule.
lundi 12 janvier 2009
Noa écrit au Hamas
Par Yvan Eisenbach pour Guysen International News
Dimanche 11 janvier 2009 à 21:45
La chanteuse israélienne internationalement renommée Noa a écrit une lettre ouverte aux Palestiniens, notamment ceux de Gaza, dans laquelle elle expose sa vision, pas naïve pour un sous, de la situation. Une lettre empreinte d'émotion, de poésie et de courage dans laquelle elle dénonce sans aucune ambiguïté l'extrémisme, le fanatisme et... le Hamas. Meilleurs extraits. |
Commençant par « chers frères palestiniens », Noa écrit : « C’est avec le cœur lourd que je vous écris aujourd’hui. Gaza brûle. La frontière avec Israël est sous le feu. Des enfants de chaque côté de la barrière sont terrifiés, traumatisés pour la vie, meurtris dans leur chair et dans leur âme. Le Sang coule. Et aujourd’hui, aujourd’hui je le dis, nous avons une ennemi commun, un horrible ennemi en commun, et nous devons tous travailler ensemble pour l’éradiquer. Cet ennemi est le fanatisme, mes amis. Cet ennemi est l’extrémisme dans toutes ses réincarnations et ses manifestations les plus abjectes. Cet ennemi, ce sont tous les hommes qui mettent « Dieu » au dessus de la vie, qui prétendent que « Dieu » est leur épée et leur bouclier, qui disent que « Dieu » est de LEUR côté. Juifs, Musulmans, Chrétiens, tous partagent ce trait noir. Tous sont tombés dans ce fanatisme destructeur et horrible à un moment donné de leur histoire, et les résultats ont été dévastateurs. Maintenant je vois l’immonde figure du fanatisme, je la vois grande et affreuse, je vois ses yeux noirs et son sourire glaçant, je vois du sang sur ses mains et je connais l’un de ses nombreux noms : le Hamas. Vous le savez aussi, mes frères. Vous connaissez cet horrible monstre. Vous savez qu’il viole vos femmes et lave le cerveau de vos enfants. Vous savez qu’il éduque à la haine et à la mort. Vous savez qu’il est chauvin et violent, cupide et égoïste, qu’il se nourrit de votre sang et hurle le nom d’Allah en vain, il se cache comme un voleur, se sert des innocents comme des boucliers humains, se sert de vos mosquées comme des entrepôts d’armes, il ment et triche, se sert de vous, vous torture, vous retient en otage. Je vous vois parfois, dehors dans les rues, manifestant aux côtés des monstres, criant ‘mort aux Juifs, mort à Israël’ !! Mais je ne vous crois pas ! Je sais de quel côté penche votre cœur ! Mais maintenant, aujourd’hui, je sais qu’au fond de vos cœurs VOUS DESIREZ la disparition de cette bête appelée Hamas, qui vous a terrorisé et vous a assassiné, qui a transformé Gaza en un monceau d’ordures de pauvreté, de maladie, et de misère. Qui, au nom d’‘Allah’, vous a sacrifié sur l’autel sanglant de la vanité et de l’avidité. Je ne peux que souhaiter pour vous qu’Israël fasse le travail dont nous avons tous besoin qu’il soit fait, et finalement vous débarrasse de ce cancer, ce virus, ce montre appelé le fanatisme, aujourd’hui, ayant pour nom le Hamas. Et que ces tueurs trouveront le peu de compassion qui pourrait encore se trouver dans leurs cœurs et ARRETENT de vous utiliser, vous et vos enfants, comme des boucliers humains pour leur lâcheté et leurs crimes ». Ce message a été publié sur le site israélien www.ipeace. un réseau qui compte plus de 14 000 membres à travers 180 pays. |
Gaza: Que signifie « disproportionné » ?
______________________________ André Glucksmann ______________________________ Philosophe, président de l'association des Amis du Meilleur des mondes |
Devant un conflit, l’opinion se divise entre les inconditionnels qui ont décidé une fois pour toutes qui a tort et qui a raison et les circonspects qui jugent en fonction des circonstances telle ou telle action comme opportune ou inopportune, quitte à retenir, s’il y a lieu, leur jugement jusqu’à plus ample informé. L’affrontement à Gaza, aussi sanglant et terrible soit-il, laisse poindre pourtant une lueur d’espoir que les images choc recouvrent trop souvent. Pour la première fois dans le conflit du Proche-orient, le fanatisme des inconditionnels paraît minoritaire. |
La discussion chez les Israéliens (est-ce le moment ? Jusqu’où ? Jusqu’à quand ?) roule comme à l’habitude dans une démocratie. La surprise est qu’un semblable débat partage à micros ouverts les Palestiniens et leurs soutiens, à tel point que, même après le déclenchement des opérations punitives israéliennes, Mahmoud Abbas, chef de l’autorité palestinienne, trouva le courage d’imputer au Hamas, en rupture de trêve, la responsabilité initiale du malheur des civils à Gaza.
Les réactions de l’opinion publique mondiale – medias, diplomates, autorités morales et politiques- semblent malheureusement en retard sur l’évolution des esprits directement concernés. Force est de relever le mot qui fait florès et bétonne une inconditionnalité du troisième type, laquelle condamne urbi et orbi l’action de Jérusalem comme « disproportionnée ». Un consensus universel et immédiat sous-titre les images de Gaza sous les bombes : Israël disproportionne. A l’occasion, reportages et commentaires en rajoutent : « massacres », « guerre totale ». Par bonheur on évite à ce jour le vocable « génocide ». Le souvenir du « génocide de Jenine » (60 morts), partout rabâché à la va vite et depuis déconsidéré, paralyserait-il encore l’excès de l’excès ? Néanmoins la condamnation, a priori, inconditionnelle, de l’outrance juive régule le flot des réflexions.
Consultez le premier dictionnaire venu : est disproportionné ce qui est hors de proportion, soit parce que la proportion n’existe pas, soit parce qu’elle se trouve rompue, transgressée. C’est la deuxième acception qui est retenue pour fustiger les représailles israéliennes jugées excessives, incongrues, disconvenantes, dépassant les bornes et les normes. Sous-entendu : il existerait un état normal du conflit Israël-Hamas que le bellicisme de Tsahal déséquilibre, comme si le conflit n’était pas, comme tout conflit sérieux, disproportionné dès l’origine.
Quelle serait la juste proportion qu’il lui faudrait respecter pour qu’Israël mérite la faveur des opinions ? L’armée israélienne devrait-elle ne pas user de sa suprématie technique et se borner à utiliser les mêmes armes que le Hamas, c’est à dire la guerre des roquettes Grad imprécises, celle des pierres, voire à son libre gré la stratégie des attentats suicides, des bombes humaines et du ciblage délibéré des populations civiles ? Ou mieux, conviendrait-il qu’Israël patiente sagement jusqu’à ce que le Hamas, par la grâce de l’Iran et de la Syrie, « équilibre » sa puissance de feu ?
A moins qu’il ne faille mettre à niveau non seulement les moyens militaires , mais les fins poursuivies. Puisque le Hamas – à l’encontre de l’Autorité Palestinienne – s’obstine à ne pas reconnaître le droit d’exister de l’Etat hébreu et rêve de l’annihilation de ses citoyens, voudrait-on qu’ Israël imite tant de radicalité et procède à une gigantesque purification ethnique ? Désire-t-on vraiment qu’Israël en miroir se « proportionne » aux désirs exterminateurs du Hamas ?
Dès qu’on creuse les sous-entendus du bien pensant reproche de « réaction disproportionnée », on découvre combien Pascal a raison et « qui veut faire l’ange, fait la bête ». Chaque conflit, en sommeil ou en ébullition, est par nature « disproportionné ». Si les adversaires s’entendaient sur l’usage de leurs moyens et sur les buts revendiqués, ils ne seraient plus adversaires. Qui dit conflit, dit mésentente, donc effort de chaque camp pour jouer de ses avantages et exploiter les faiblesses de l’autre. Tsahal ne s’en prive pas qui « profite » de sa supériorité technique pour cibler ses objectifs. Et le Hamas non plus qui utilise la population de Gaza en bouclier humain sans souscrire aux scrupules moraux et aux impératifs diplomatiques de son adversaire.
On ne peut travailler pour la paix au Proche-orient qu’à la condition d’échapper aux tentations de l’inconditionnalité, lesquelles hantent non seulement les fanatiques jusqu’au-boutistes, mais aussi les âmes angéliques qui fantasment une sacro-sainte « proportion » propre à équilibrer providentiellement les conflits meurtriers. Au Proche-orient, on ne se bat pas seulement pour faire respecter une règle du jeu, mais pour l’établir. On peut à juste titre discuter librement de l’opportunité de telle ou telle initiative militaire ou diplomatique, sans toutefois supposer le problème résolu d’avance par la main invisible de la bonne conscience mondiale. Il n’est pas disproportionné de vouloir survivre.
dimanche 7 décembre 2008
Boniface qui mal y pense
Des journalistes algériens auraient déformé ses propos. Les salauds !
I
l revient. Et il n’est pas content. À la suite de l’article que j’ai consacré à ses tribulations algéroises, Pascal Boniface nous envoie un droit de réponse dont malheureusement, chers lecteurs, vous ne pourrez lire que les deux paragraphes publiables, Gil Mihaely, directeur de la publication de Causeur, ayant estimé qu’il ne relevait pas du droit de réponse, entre autres raisons parce qu’il contient une série d’appréciations plutôt désobligeants sur quelques amis et surtout sur ma modeste personne, pseudo-journaliste, communautariste refoulée recourant à des méthodes rappelant celles de “la presse d’extrême droite des années 30″ et tutti quanti. Je remercie Boniface pour ses leçons de déontologie et l’invite à publier ses âneries ailleurs – ce dont il ne se prive d’ailleurs pas. Mon admiration pour Alain Finkielkraut et le soutien que je lui ai apporté le défrisent ? C’est son problème. Il n’aime pas mes opinions sur ceci et cela ? Je mentirais en disant que j’en suis désolée. Il trouve que je ne le lis pas assez ? Là, je reconnais que c’est assez bien vu même si, effectivement, j’ai encore en ma possession sa fameuse note intitulée : “Le Proche-Orient, les socialistes, l’équité internationale, l’efficacité électorale” (c’est moi qui souligne). Dans cette note qui lui valut une polémique avec Elie Barnavi et sa suspension de la commission internationale du PS, il écrivait notamment : “À miser sur son poids électoral pour permettre l’impunité du gouvernement israélien, (c’est encore moi qui souligne) la communauté juive est perdante là aussi à moyen terme. La communauté d’origine arabe et/ou musulmane s’organise elle aussi, voudra faire contrepoids et, du moins en France, pèsera vite plus lourd si ce n’est déjà le cas.” Je dois confesser que j’avais totalement oublié qu’outre ses nombreuses qualités il ne manque pas d’humour notre expert international. Il en fallait pour écrire en 2001 que “la communauté d’origine arabe et/ou musulmane pèsera vite plus lourd si ce n’est déjà le cas” (que la communauté juive). Bref, non seulement il comptait les juifs et les arabes mais il faut aussi dire qu’il comptait assez mal. Quant aux juifs qui misaient sur leur poids électoral pour peser sur la politique (hystériquement pro-israélienne comme on le sait) du président Chirac, qu’on me les amène car eux sont carrément des imbéciles. Mais peut-être ce document qui a miraculeusement survécu à quelques déménagements est-il un faux, une sorte de Protocole des sages de Sion dont on a voulu se servir pour faire taire cet expert si dérangeant.
Mais venons-en au fait. Donc, tout ce que j’ai dit, c’étaient que des menteries. Pascal Boniface n’a jamais tenu les propos que lui prête le quotidien El Khabar et dont j’ai utilisé la traduction en français publiée par le journaliste Chawki Freïha sur le site mediarabe. Dans un texte intitulé L’union des faussaires que j’invite les lecteurs de Causeur à lire de toute urgence, il s’étonne du crédit que moi et mes copains faussaires (en l’occurrence Mohamed Sifaoui et l’UPJF) portions du crédit “à ce journal en langue arabe dont on peut supposer que, d’ordinaire”, nous ne tenions “pas ce qui y est publié comme vérité absolue !”. J’avoue humblement n’avoir pas imaginé qu’un quotidien qui a cru bon d’inviter Pascal Boniface à un colloque ait pu déformer ses propos au point de lui faire dire le contraire de ce qu’il disait.
Car c’est de cela dont il s’agit : “Le problème, écrit mon contradicteur, est que les propos qui me sont attribués par ce journal sont à l’inverse de ce que j’ai dit et correspondent aux questions qui m’ont été posées et non aux réponses exactement inverses que j’ai faites. J’ai en effet au contraire déclaré qu’on ne pouvait pas parler de lobby juif en France, car les Juifs français avaient, tant sur le Proche-Orient que sur l’image des Arabes, des avis très différents. Je déclarais que des gens différents (ce qui montre qu’il n’y a pas de lobby juif) comme Lévy, Sifaoui et Val, tout en prenant des postures de courageux résistants, vont dans le sens du vent en développant globalement l’idée que si tous les musulmans ne sont pas terroristes, tous les terroristes sont musulmans, que si tous les musulmans ne sont pas des intégristes, tous les intégristes sont des musulmans.”
Je précise que le Lévy dont il est question est Bernard-Henri, Boniface ne va tout de même pas s’abaisser à citer une “excitée” (un peu faiblard pour votre servante, non ?) qui “squatte les plateaux télé” (pas assez si vous voulez mon avis mais bon, on ne peut pas être d’accord sur tout). Et je dois dire que même ces propos-là, je ne les trouve pas très malins. Je lui accorde volontiers cependant que le trio qu’il affirme avoir cité ne colle pas avec l’idée du lobby juif – si l’on s’en tient à une définition “communautaire” dudit lobby. En tout cas, si Pascal Boniface dit vrai, ce que nous ne saurions exclure par principe, je ne saurais trop lui recommander d’être plus prudent dans le choix des invitations qu’il accepte. Et je suis certaine que les faussaires algériens d’El Khabar – qui sont au moins aussi coupables et fielleux que moi- ont reçu une réponse aussi incendiaire. De même que les journalistes du quotidien francophone Jour d’Algérie qui ont publié le 5 novembre un compte-rendu du colloque. Il nous faut encore remercier Chawki Freïha qui a reproduit sur son site l’intégralité de l’article dont voici quelques extraits.
Médias occidentaux et monde arabe : “Attaquer les musulmans ne coûte pas cher” : Animant une table ronde sur les médias occidentaux et le monde arabe, le stratège français Pascal Boniface, invité mardi au Salon du livre d’Alger, soutient que le lobby arabe en Europe n’est guère puissant, ce qui facilite les attaques contre l’islam et les musulmans. D’emblée, il souligne que beaucoup de médias occidentaux s’acharnent aujourd’hui à diaboliser l’image des musulmans et de l’islam car ils savent qu’en contrepartie ils ne seront ni sanctionnés, ni pénalisés. “Les responsables des médias croient que ce sujet intéresse le public, que ça choque, que ça augmente l’audience alors ils en profitent ! D’autres pensent que dire cela est un courage intellectuel ! C’est considéré même comme de la lucidité et du courage”, dit-il, citant au passage quelques français réputés comme Bernard Henry Lévy, Philippe Val et Alain Finkelkraut, des intellectuels français qui s’inscrivent dans ce courant de pensée communautariste et qui reproduisent la pensée de la classe dominante en France et en Europe. Ils font dans le politiquement correct ! “Ces gens disent qu’ils ne sont pas contre les musulmans mais ils s’en prennent à l’islam ! Ils entretiennent un discours contradictoire et diffusent la confusion et l’amalgame. D’ailleurs, ils ouvrent les portes à tous les musulmans qui regagnent leur rang et se trahissent comme Mohamed Sifaoui.” Pour Boniface, les Français de confession musulmane ou d’origine maghrébine ou arabe sont intégrés dans la société française et c’est toute une population qui pousse et qui monte aujourd’hui en Europe. “Quand j’étais lycéen, dans ma classe il n’y avait aucun Français d’origine maghrébine ou arabe. Quand je suis entré à la Faculté, ils étaient quelques étudiants enfants de diplomates. J’enseigne aujourd’hui à l’université, en classe il y a un nombre important d’étudiants français de confession musulmane ou d’origine maghrébine. Les enfants de la cité sont là, ils ne veulent plus laisser leurs êtres aux vestiaires, ils veulent parler et s’exprimer”, lâche le conférencier. Illustrant ses dires, il raconte un fait divers rapporté récemment par les médias occidentaux. Une Française a été condamnée à six mois de prison ferme parce qu’elle a contrevenu aux lois canadiennes. Elle a suivi son mari qui a kidnappé ses enfants au Canada ! “Cela a été mis dans les faits divers. Imaginez un instant que son mari ait été d’origine algérienne ou arabe ! Cela aurait fait la une de tous les médias.”
Il est vrai que dans la version française, Pascal Boniface n’aurait pas employé l’expression “lobby juif”, mais, ainsi que je l’avais indiqué, ce n’est pas cette formule en soi qui me semble insupportable. J’admets au contraire que l’existence d’un tel lobby peut tout-à-fait être l’objet d’une discussion. Je déplore d’ailleurs à titre personnel que ce lobby, s’il existe, soit bien peu reconnaissant à l’égard de ses fidèles porte-parole. En revanche, je continue à trouver franchement inélégant pour ne pas dire absolument infect d’accuser Val, Lévy et Finkielkraut, de “s’en prendre à l’islam” et “d’ouvrir leur porte aux musulmans qui se trahissent comme Mohamed Sifaoui”. J’aimerais d’ailleurs un éclaircissement sur cette catégorie jusque-là inconnue de moi des “musulmans qui se trahissent”. Il faudra que Boniface m’explique comment je peux être une communautariste aussi échevelée que masquée parce qu’il m’arrive d’observer un certain antisémitisme, tandis que Sifaoui, lui, est un traître au motif que ses choix idéologiques ne sont pas inspirés par son origine. Mais, je le répète, sans doute les propos de Boniface ont-ils également été déformés par le quotidien francophone qui publiera sous peu le droit de réponse envoyé par l’offensé.
Comme l’écrit encore Chawki Freïha “le lecteur se retrouve devant deux versions diamétralement opposées, couvrant un seul et même événement. D’un côté, des journaux algériens qui reproduisent des propos, et de l’autre, l’auteur de ces propos qui les infirme. Qui dit vrai ? Il revient à l’intelligence du lecteur de faire la part des choses, en tenant compte d’une possible tendance des médias algériens à exploiter les propos de Boniface et à les amplifier pour des raisons que personne ne peut ignorer. Mais aussi, il convient de tenir compte de la sensibilité politique et idéologique de Pascal Boniface. Un exercice particulièrement délicat pour comprendre ce qui s’est passé à Alger”. J’ajouterai que si le journaliste de Jour d’Algérie a purement et simplement inventé les propos prêtés à Boniface, cela prouve au moins qu’il suit avec attention les débats en France car comme dit l’autre si non e vero…
J’attends donc avec impatience de recevoir les droits de réponse publiés par ces deux organes de presse dont les journalistes doivent être dénoncés comme les faussaires en chef et je suis certaine qu’ils seront rédigés dans des termes aussi choisis que celui auquel nous avons eu droit. Et s’il s’avère que tout cela est un bidonnage de la pire espèce, et que Pascal Boniface n’a rien dit qui ressemble à ce qu’on lui attribue, je lui présenterai volontiers mes excuses pour avoir cité ces confrères.
Dernière précision. Voilà encore ce qu’écrit Boniface : “Elisabeth Lévy me connaissait très bien dans les années 90 lorsqu’elle travaillait pour le journal Le Temps à Genève. Elle m’appelait alors régulièrement pour entendre mes analyses sur le conflit des Balkans. Jusqu’au jour où je lui ai dit que, si j’étais ravi de lire ses articles où je retrouvais la plupart de mes analyses, j’aurais apprécié qu’elle cite ses sources.” Outre le fait qu’il me reproche curieusement, dans la présente affaire, de citer mes sources, je trouve cette accusation doublement vexante : d’une part, le pillage dont nous sommes souvent victimes à Causeur me fait horreur – je suis connue pour être plutôt tatillonne sur la question – et d’autre part si je devais le pratiquer je ne choisirais pas Pascal Boniface comme victime. Il est vrai cependant qu’il m’est arrivé de l’appeler ainsi que d’autres chercheurs de l’IRIS lorsque je travaillais en Suisse (non pas au Temps mais au Nouveau Quotidien) et je l’ai régulièrement cité, il doit en rester quelques traces dans mes cartons, je me ferai un plaisir de les lui envoyer quand j’aurai le temps de faire de l’archéologie. Ce n’est sans doute pas ce que j’ai fait de mieux. Que voulez-vous, on est con quand on est jeune.
Elisabeth Lévy
mardi 25 novembre 2008
Le lobby juif, voilà l’ennemi !
À Alger, Pascal Boniface ne tourne plus autour du pot : enfin un mec qui ose !
Par Elisabeth Lévy
Ce Pascal Boniface est très fort. Certes, on peut ne pas partager ses tropismes. Mais enfin, en quinze ou vingt ans de présence laborieuse dans le débat public, sa seule contribution originale a été de constater qu’il y avait en France plus de musulmans que de juifs et à appeler son parti le PS à en tirer les conséquences qui s’imposaient. Et après tout, à l’exception peut-être d’un certain cynisme, on ne peut pas reprocher grand-chose à ce raisonnement. Pour le reste, Boniface a réussi à être l’un de ces “experts” généralistes dont les médias raffolent en énonçant des banalités bien-pensantes ou des sottises sur toutes sortes de sujets allant de la guerre en Irak aux JO (l’un de ses fonds de commerce favoris). Boniface, c’est le type qu’on a pris l’habitude de voir ou d’entendre à tout bout de champ sans que plus personne ne se souvienne quand il est apparu et pour quelle raison. Il fait partie du décor. Au bout du compte, il n’est que l’un des multiples imposteurs qui pullulent sur les ondes et écrans – et, à vrai dire, plutôt une “roue de secours” qu’un “bon client”. Pas le plus talentueux, il est vrai, ce qui confère un côté vaguement mystérieux à sa trajectoire. Il faudrait un Balzac pour imaginer la somme de combines, calculs, intrigues et autres coups qui l’ont rendu incontournable. Après tout, mettre un pied dans toute porte qui s’entrouvre et ne plus lâcher, c’est un talent.
Il ne faut jamais désespérer de personne. Pour une fois, Boniface a fait preuve d’un courage réel en disant tout haut ce que la majorité des gens n’oseraient même pas penser tout bas. Non seulement, il proclame qu’il y a en France un “lobby juif1” mais, ce qui est plus surprenant de sa part, que celui-ci doit être un modèle pour les Arabes et les musulmans. Lesquels, a-t-il déploré, “ne disposent pas d’un lobby en Occident, capable de corriger l’image erronée de l’Islam, alors que des célébrités médiatiques s’emploient à ternir leur image”. (Pas d’énervement, la liste arrive !) Sans doute aviez-vous noté que “les médias occidentaux en général, et européens en particulier, en répandent une image déformée en alimentant l’amalgame entre l’islam (religion) et les mouvements islamistes (politiques ou terroristes)” ? Boniface vous dit ce qu’on vous cache : “Ces campagnes hostiles à l’islam sont commanditées par des intellectuels et des journalistes connus dans la sphère française, comme Bernard-Henri Lévy, Alain Finkielkraut et Philippe Val.” Saluons le fait qu’il ne cède pas à une vision étroitement ethnique, puisque Val est pris dans la rafle – sans doute comme crypto-juif. Et puis, il y a les traitres, ces musulmans qui contribuent à cette campagne anti-musulmane, comme Mohammed Sifaoui, qui lui aussi “bénéficie de l’appui des médias”. Le lobby a le bras long.
On notera de surcroît l’audacieuse conception de la vie publique qui affleure dans les propos de Boniface : si on comprend bien, il conseille aux musulmans d’utiliser les mêmes méthodes, ce qui semble signifier dans le contexte qu’ils devraient mener des « campagnes hostiles aux juifs ». Peut-être même pourrait-il être le Val des musulmans et prendre la tête de ce contre-lobby. Voilà en tout cas un esprit libre qui ne se couche pas devant le politiquement correct. D’ailleurs, il a payé le prix fort : “En France, il y a un puissant courant hostile aux Arabes et à l’Islam, et si tu n’en fais pas partie, il fait tout pour te faire taire. Ils ont ainsi tenté de me tuer professionnellement”, a-t-il encore affirmé. Heureusement que nos médias, plus que sourcilleux sur la liberté d’expression, continuent à donner la parole à ce rebelle, dont toutes les citations sont extraites de l’article de Chawki Freïha, publié à Beyrouth sur le site mediarabe.info.
Quelques esprits chagrins trouveront que les propos de Boniface ne sont pas si courageux que ça. Il est vrai qu’il les a prononcés à Alger, dans le cadre du forum “Monde arabe et Choc des civilisations” organisé le 5 novembre par le quotidien arabophone El Khabar dans le cadre du Salon du Livre. Boniface en a profité pour faire la promotion de la traduction arabe de son livre Est-il permis de critiquer Israël ? – un titre qui dénote un certain humour. Poser une question aussi iconoclaste, voilà qui dénote une pensée particulièrement “dérangeante”. D’ailleurs, il dérange, Boniface. La preuve, selon Chawki Freïha, “le livre était officiellement interdit au Salon du livre mais bien présent sur les étalages”. La preuve aussi que, contrairement à la France, l’Algérie est un pays libre. Au moins, là-bas, il n’y a pas de lobby juif.
PS : Je lance un appel solennel à tous les membres actifs ou dormants du lobby : de grâce, épargnez-nous les trémolos et l’indignation. Un imbécile ne fait pas plus une bête immonde qu’une hirondelle le printemps. Inutile d’en faire un martyr. Il n’y a qu’une chose à faire de Pascal Boniface : en rire.
jeudi 13 novembre 2008
Obamania et renoncement de l'opinion européen
Par André Glucksmann, philosophe
11/11/2008 | Mise à jour : 19:26 | Commentaires 30
Crédits photo : Le Figaro
En élisant Obama, les Américains - et le monde tout entier - semblent avoir succombé à une vision postmoderne de l'histoire, qui s'apparente à une démission.
Étonnons-nous. L'intronisation sur la planète de nouveaux dirigeants évidemment nous importe, que ce soit à Moscou ou à Pékin. Toutefois, en ce 4 novembre 2008, nous ne fûmes pas simplement concernés, mais remués, bouleversés, transportés.
L'élection de Barack Hussein Obama n'est pas seulement un événement objectif, c'est un avènement subjectif. Preuve que les États-Unis demeurent, malgré tous leurs détracteurs, capitale de la mondialisation. Entendons : non pas une hyperpuissance, mais un phare. Non pas le centre du monde, mais le pivot d'une communauté de destin qui nous lie pour le meilleur ou pour le pire. Les derniers mois, nous vécûmes bon gré mal gré à l'heure de Manhattan et nous avons frémi comme jamais lors d'une échéance électorale.
Le triomphe d'Obama fut homologué «historique» par ses adversaires - McCain, Bush, Condoleezza Rice - et salué par les mêmes avec les larmes d'une sincère émotion comme la victoire des États-Unis d'Amérique tout entiers. Elle prolonge la lutte contre l'esclavage et le combat pour les droits civiques.
Elle n'incarne pas une victoire communautariste des «Blacks», mais au contraire une transgression universaliste, une émancipation générale, où les Blancs, les grands et les petits, les «Wasp» et les sudistes échappent à leurs angoisses, leurs égoïsmes et leurs préjugés traditionnels, où les Africains-Américains dépassent leur enfermement et l'esprit de revanche, si magnifiquement décrits dans les films de Spike Lee. À son «Do the right thing», la réponse tombe : «Yes, we can !» Le «rêve américain», jamais totalement accompli, est une prise de risque sans cesse recommencée. Il instaure dès l'origine une société d'immigrés, un pays de dépaysés, une communauté de déracinés qui se reconnaissent une patrie dans l'avenir et qui petit à petit construisent une société de complet métissage, où hommes et femmes - noirs, blancs, métis, chocolat, café au lait, anciens et nouveaux venus aux religions multiples et à l'infinité des goûts - se projettent avec d'autant plus de patriotisme, égaux en droits et en devoirs.
Pareille pulvérisation prolongée des tabous, les plus intimes, douloureux et supposés indépassables, parle au monde : s'ils le peuvent, pourquoi pas nous ? Dans un pays qui connût il y a cinq générations l'esclavage, la ségrégation il y a trois décennies et qui vit une inégalité ethnico-sociale flagrante encore de nos jours, un «Noir à la Maison-Blanche» sidère et permet à la terre entière de percevoir une issue. Voilà qui explique notre adhésion lucide. Reste à scruter notre dévotion aveugle.
Étonnons-nous de nous. L'électeur américain s'est offert une «obamania» politique et festive, sagement majoritaire en bonne démocratie, avec un score adulte de 53 %. Le spectateur européen a cultivé, bien avant les résultats, une «obamanie» unanimiste, nord-coréenne et quasi religieuse à 84 %. Le taux d'adulation atteint parfois 93 % ! Comme si le Messie était apparu, non à Washington, mais entre Paris et Rome, Berlin et Bruxelles, comme s'il étendait son aile conciliatrice sur l'ensemble de la planète. Nous, Européens, avons allègrement gommé toutes les aspérités du candidat. Il soutient la peine de mort que nous sommes si fiers d'abolir. Il n'interdit pas la vente libre des armes qui nous paraissaient jusqu'à hier le signe fatidique de la barbarie américaine et de cette mentalité de cow-boy que nous, gens de qualité et de raffinements multiséculaires, vomissons. Wall Street, le temple honni de la spéculation carnassière, l'a choisi et financé, ce qui n'inquiète manifestement plus nos gauches antilibérales. Les yeux fermés, nous sommes satisfaits de tout ignorer des projets concrets qu'il n'a du reste pas dévoilés en matière de crise économique et internationale.
Notre rêve européen adoube un homme providentiel dont on attend tout sans rien exiger d'avance. Nos fantasmes couronnent un nouveau président innocent de nos péchés historiques, un leader blanc comme neige - simplement «bronzé» selon Berlusconi, qui l'intronise en alter ego de Poutine, ce fameux exterminateur de «culs noirs» caucasiens. À l'inverse, McCain, héros rescapé des geôles vietnamiennes, faisait tache ; son corps couturé par les blessures du tragique XXe siècle fut d'office ostracisé par la bien-pensante volonté d'oublier. Les opinions européennes, droite et gauche confondues, s'abandonnent à une vision postmoderne de l'histoire et démissionnent, comme s'il appartenait aux Américains et désormais à Obama seul de régir à notre place la gouvernance planétaire. 84 % ! Nous fêtons une puissance qui nous délivre de nos responsabilités et libère de l'obligation d'agir.
Telle est la composante malsaine de notre joie générale et consensuelle : déléguer à un autre immaculé le soin des malheurs du monde et des défis de l'avenir. Le rêve américain des Américains les engage à poursuivre le dur travail d'émancipation post-raciale et universelle de l'humanité. L'aboulique rêve américain du Vieux Continent s'installe, équivoque gardien de nos sommeils.
http://www.lefigaro.fr/debats/2008/11/15/01005-20081115ARTFIG00021-obamania-et-renoncement-de-l-opinion-europeenne-.php
In France, It’s Vive Le Cinéma of Denial
PARIS — “W.,” Oliver Stone’s biopic about the outgoing American president, has just opened here. So has a French film about Coluche, the country’s most popular postwar comedian, Michel Colucci, who became a kind of anarchic candidate for president in 1981, an opponent of anti-immigrant sentiment, a champion of the poor.
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Trailer: 'Coluche'
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The French movie hardly bothers with politics, dwelling on Coluche’s love life instead. Cultural gulfs can sometimes reveal themselves in these small details. France, it turns out, remains, even all these years later, not insignificantly caught up in the cinema spawned by the Occupation, offering diversion, self-flattery and escapist fiction about itself.
Serious-minded Americans traditionally love to idealize the French movie industry, but as French cinephiles tend to see it, it’s their own filmmakers, unlike those in the United States, who shy away from tackling head-on tough issues like contemporary French politics, scandals and unrest. Contrarians will note “La Haine” (“The Hate”), a much-talked-about movie anticipating the violence that exploded three years ago in some of France’s poor immigrant suburbs. But “La Haine” was released in the mid-1990s.
Meanwhile, never mind poor box office results, the United States keeps churning out ambitious pictures with big stars or directors, like “In the Valley of Elah,” “Lions for Lambs,” “Rendition,” “Redacted” and “Body of Lies,” questioning American policy in the Middle East or otherwise seizing on the headlines. France hasn’t made a significant movie yet about the 2005 riots.
The country has censored politically charged films, including Jean-Luc Godard’s “Petit Soldat” (made in 1960 but not released until 1963), a rare French picture about the Algerian war of independence. “The Battle of Algiers,” the greatest film about that war, was an Italian-Algerian production, not a French one, directed by an Italian. It was banned for many years after its release in 1966.
The closest thing to a French “Apocalypse Now” or “Platoon” about Algeria is “L’Ennemi Intime,” made last year, close to half a century after the war ended. As for a French version of “W.,” any film skewering a sitting French president “would be nearly impossible to make here,” said Caroline Benjo, echoing what other French filmmakers contend.
They cite a mix of politics, stylistic habits perpetuating the national “brand,” financing and a collective anxiety about postwar French identity. The problem, you might say, goes back to de Gaulle’s selling the country on the idea that it won World War II, along with the culture of denial that that mindset promoted.
Ms. Benjo is a producer of “Entre les Murs” (“Within the Walls,” marketed in English as “The Class”), which won the Palme d’Or at Cannes this year. A drama about schoolchildren from a multiethnic neighborhood of Paris, it has so far done well at the French box office. Like the promiscuously awarded “La Graine et le Mulet” (opening next month in the United States as “The Secret of the Grain”), directed by Abdellatif Kechiche, which is about a community of immigrants in a seaside town in the south of France, “Entre les Murs” is “l’exception culturelle.”
That phrase ordinarily connotes not “exception to the rule” but the exceptional status of culture here. Money for French films comes partly from a percentage of ticket sales for American blockbusters, and from French television networks, which by law must underwrite films.
This means that French movies now at the multiplex, like “Faubourg 36,” a nostalgic music hall story about bygone France, or “Le Crime Est Notre Affaire,” a nostalgic mystery based on an Agatha Christie story, are effectively supported by French revenues from American films like “Blood Diamond,” “Charlie Wilson’s War,” “Syriana” and other news-hungry, Hollywood vehicles of precisely the sort that France doesn’t make.
Public television is government-run, of course, and the country’s most popular network, TF1, happens to be owned by Martin Bouygues, a close associate of the president, Nicolas Sarkozy. “Naturally television executives try to influence content,” Jean-Michel Frodon, the editor of Cahiers du Cinéma, noted the other day.
That said, France likes to boast, for good reason, that with more than 220 films made here a year, the country’s movie industry lags behind only those of India and the United States. Among these 220 movies, a modest number of high-quality documentaries or fictional dramas detailing poverty or immigrant life here are released, but they’re generally “small films made in the shadows,” Mr. Frodon said.
As Antoine de Baecque, a film historian, put it, “French cinema since Nouvelle Vague deals with reality in a certain way.” He was talking the other afternoon about the French New Wave of the late 1950s and ’60s, led by François Truffaut and Mr. Godard. “We like to fracture, distort and romanticize — to see trauma but obliquely, abstractly. In this sense French cinema is the opposite of American cinema. It values style over realism, the small form over the epic.”
Mr. de Baecque chalked this approach up to a French “inferiority complex, a feeling that since World War II, France, despite what we like to tell ourselves, is downgraded from the front rank of history, which creates melancholy, a malaise,” he said. “The romantic comedies, the sentimental affairs, they are fictions that remove us from real life and are precisely the kind of movies that emerged out of the Occupation.”
The most popular film ever made in France was released this year, “Bienvenue Chez Les Ch’tis” (“Welcome to the Land of the Sh’tis”), a harmless comedy about a postal employee from the South forced to work in the North. Largely unnoted by the French, admirably or out of avoidance, was that the two main stars of the movie, imitating regional clichés, both happened to be Frenchmen of North African descent.
On the other hand, newspapers were full of stories the other week about the burning of cars belonging to Luc Besson’s film crew. In Montfermeil, a poor town outside Paris, Mr. Besson has been shooting a big-budget American-style thriller with John Travolta. But it’s not about the riots in that neighborhood in 2005.
For that, French people these days must turn to programs like “La Commune,” a dark television drama that ran this year on Canal Plus. Its inspiration was not French cinema but American cable series like “The Wire” on HBO. “La Commune,” glowingly received by French critics, was canceled when the network decided its audience wasn’t large enough; never mind that other shows on Canal Plus with similar audiences were renewed.
Abdel Raouf Dafri, the show’s writer, an excitable 44-year-old even without the heavily sugared espressos he gulped one recent morning, shook his head in disgust. “The real-life characters in the series were blacks and Arabs, traditional conservative Muslims, leaders after the white policeman in the neighborhood had given up,” he said, “and France doesn’t like to look in the mirror except to see itself as the most beautiful nation. Some people thought the series was too violent, but I said look at American series. The French response to that was, ‘Yes, but it’s the U.S.,’ as if there’s no violence here.”
Mr. Dafri lately wrote the screenplay for “Mesrine,” which just opened to good reviews that noted its Americanness. About a real-life French gangster of the 1960s and ’70s, Jacques Mesrine, who became a kind of populist outlaw, a French Pretty Boy Floyd, the movie has a definite political undercurrent. Mr. Dafri said he looked to Francis Ford Coppola and Martin Scorsese, to Showtime and “Prison Break,” “24” and “The Sopranos.”
“In the United States,” he said, “you know how to make films and television series that are intelligent and political and don’t forget the entertainment factor. In France we just want to be intellectual.” He nearly leaped out of his seat saying that last word.
Emmanuel Daucé, a producer of “La Commune,” who was joining Mr. Dafri for morning coffee, nodded. “We still have an old left that thinks it’s vulgar and politically dubious to make commercial movies,” he said. “We invented the dramatic series, with Zola and Balzac and Hugo, but it’s as if we forgot what we started.”
Back at the offices of Haut et Court, the production company for “Entre les Murs,” Ms. Benjo agreed, while also bemoaning screenwriting, which accounts here for far less of a film’s budget on average than in Hollywood.
“We prefer to euphemize, to think small in our movies,” she said. She returned to the legacy of the New Wave, saying it has been misunderstood. New Wave filmmakers were against long-winded scripts, but not against well-written ones.
“Look at the French films that sell on the international market, and you’ll also see they aren’t always the best ones, but they’re the ones that fit the expectations of French cinema,” her colleague, Carole Scotta, another producer of “Entre les Murs,” added. “We’re prisoners of these expectations.”
“And yes, we just don’t want to see ourselves as we really are,” she said. “It took a long time for politicians here to admit France bore responsibility for the years of collaboration during World War II, and still Sarkozy likes to say we were a nation of resistance. The most successful films in this country reflect our collective projection of France as we wish it to be. We prefer to live in a dream.”
The other evening Parisians mobbed the Pathé multiplex on the Place de Clichy. Many lined up to catch Woody Allen’s “Vicky Cristina Barcelona,” a virtual French romantic comedy made by an American in Spain. When the last ticket for it was sold, the couple next in line just shrugged.
They went instead to “Cliente,” a French comedy about a middle-aged female television anchor who pays for sex with a younger man.
It’s been doing nicely at the box office.
http://www.nytimes.com/2008/11/04/movies/04abroad.html?_r=2&oref=slogin&pagewanted=all