Red Bull était interdit de commercialisation depuis treize ans. Du jour au
lendemain, sans modifier d'un iota sa recette, la boisson voit s'ouvrir en grand
les portes de nos supermarchés. Crédits photo : Fabien COURTITARAT/REA
Malgré les avis négatifs des scientifiques, la boisson controversée sera commercialisée en France.
C'est l'histoire de Red Bull, une boisson interdite de commercialisation depuis treize ans et qui du jour au lendemain, sans modifier d'un iota sa recette, voit s'ouvrir en grand les portes de nos supermarchés. Pourtant, pas moins de quatre avis négatifs de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) avaient fait état d'«éléments inquiétants».
En cause, une des composantes de la boisson, la taurine. La suspicion d'une toxicité rénale et neurologique et d'effets négatifs sur le comportement, transitoires ou permanents, de la taurine contenue dans le Red Bull restait en suspens. Dans le doute, l'Afssa a préféré s'abstenir, concluant que «la boisson combine plusieurs agents susceptibles de générer des troubles neuropsychiques».
C'était sans compter sur la détermination de Dietrich Mateschitz, l'inventeur autrichien de cette boisson. Alors que son breuvage est vendu dans 154 pays, les réserves françaises ont toujours eu le don de l'énerver. Fin 2007, il décide donc de porter l'affaire devant les tribunaux. Il dépose une plainte au tribunal administratif de Paris et demande pas moins de 300 millions d'euros d'indemnités contre l'État français.
Des doutes sur la dangerosité
Un montant suffisamment dissuasif pour que Bercy se saisisse de ce dossier empoisonné. Surtout, la réglementation européenne récente oblige désormais les pays de l'Union à faire la démonstration de la toxicité d'un produit. La charge de la preuve incombe donc aux pouvoirs publics et plus à l'industriel. Or, aux yeux de Bercy, le dernier avis de l'Afssa en date du 12 novembre 2007 est jugé un peu léger. «Les doutes de l'Agence, c'est une chose, mais cela ne suffit pas à démontrer la dangerosité du produit», justifie un haut fonctionnaire de Bercy.Un premier round de négociations, mené par le cabinet de Christine Lagarde, ministre de l'Économie, en concertation avec le ministère de la Santé, échoue en mars. Le gouvernement français propose une autorisation conditionnelle en attendant l'avis de l'Agence européenne de la sécurité des aliments.
Dans une lettre assassine envoyée à Christine Lagarde, Dietrich Mateschitz lui fait part de son refus d'attendre quelque avis de plus, arguant que 22 pays européens commercialisent son produit et qu'ils n'ont pas attendu l'avis de l'administration sanitaire européenne pour le faire.
De fait, en avril, Red Bull lance en France une boisson allégée, sans taurine, mais bel et bien baptisée Red Bull. Rue de Grenelle, au ministère de la Santé, on s'inquiète. L'entourage de la ministre craint qu'en autorisant un Red Bull allégé le consommateur se rue sur une boisson inoffensive et qu'à l'occasion de la vente du vrai Red Bull, le client ne fasse plus la différence.
Roselyne Bachelot furieuse
Christine Lagarde, qui craint que l'État français se voie dans l'obligation de payer une amende, appelle le patron autrichien. En échange d'une autorisation de commercialisation, la ministre lui demande de retirer ses plaintes et de rajouter les mentions «à consommer avec modération», «déconseillé aux femmes enceintes» et «boisson à la taurine». Autre requête : le retrait d'ici au 15 juillet du «faux» Red Bull. L'accord est signé le 16 mai en Autriche. Mateschitz, qui assurément savoure sa victoire, accepte pour l'occasion de trinquer, un verre de champagne à la main, avec Christine Lagarde.À Paris, Roselyne Bachelot fulmine. Officiellement, le ministère de la Santé indique avoir été «rassuré» par les avertissements qui accompagneront la commercialisation du produit. En réalité, Roselyne Bachelot ne décolère pas contre cette décision. Elle fait savoir à Matignon qu'il existe un «faisceau d'indices en faveur de l'existence d'un risque», notamment «des suspicions de décès» en Suède et en Irlande et des «cas de neurotoxicités».
De son côté, l'Afssa tente de faire bonne figure. «Nous émettons des avis consultatifs. Il appartient ensuite aux pouvoirs publics de décider. C'est le principe français de la séparation de l'expertise et de la décision», rappelle Pascale Briand, directrice générale.
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Jean-Michel Bader,Thiébault Dromard et Cyril Lachèvre
23/05/2008 | Mise à jour : 07:50
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