jeudi 26 mars 2009
Riez, c’est un ordre !
De Guillon aux Guignols, les bouffons font la loi
Elisabeth Lévy
Jamais anarchistes n’auront été si fastueusement couronnés. Si les Guignols et tous leurs émules avaient un peu de bon sens – en plus d’être dépositaires officiels de l’esprit satirique national – ils auraient fui à toute allure les festivités organisées pour leurs vingt ans. “Les Guignols, c’est la grand-messe” : cette phrase n’a pas été prononcée par un ronchon conformiste, réactionnaire et inaccessible à cet humour si corrosif que l’on n’appelle plus que « l’humour Canal » mais par la présentatrice du JT de la chaîne. Grand-messe ? La métaphore qui fleure l’Inquisition, les Croisades et Benoît XVI aurait dû faire bondir les intéressés. Rien du tout. Tous se sont, au contraire, montrés fort satisfaits des marques de déférence qui leur ont été dispensées à foison. “Meilleurs éditorialistes de France” par-ci, “seuls opposants à Sarkozy” par-là, puis encore “héritiers de Molière et La Fontaine” et aussi “indispensables garde-fous de la démocratie” ou “symboles de la liberté d’expression à la française” : dans ce registre de bondieuserie cool et moderne, aucun lieu commun n’aura été épargné aux malheureuses marionnettes et surtout aux malheureux Français. L’esprit de sérieux (l’une des pires menaces qui pèsent sur l’humanité) n’est jamais aussi lourd et désolant que lorsqu’il s’abat sur l’humour lui-même.
On me conseillera comme toujours d’éteindre ma télé. Libre à chacun de se priver du spectacle du monde, cela n’est pas ma pente. En vérité, le sacre des Guignols et des humoristes dérangeants rangés sous la bannière de Stéphane Guillon, est un événement considérable. Les bouffons sont devenus rois. Mais ils continuent à se prétendre bouffons. Et nous marchons, ou, pire encore, nous faisons semblant – situation parfaitement orwellienne d’imposture partagée où le conformisme passe pour subversif et l’idéologie dominante pour l’esprit de résistance.
L’affaire Guillon avait préparé les esprits au putsch des amuseurs. Putsch soft, au demeurant improvisé à partir d’un incident. Un ancien ministre mal réveillé se prend en pleine figure les blagues au vitriol d’un type payé pour jouer le garnement et qui le fait très bien. Comme les blagues reposent sur ses frasques réelles, et qu’il a oublié que la règle numéro un de ce jeu de cons est de faire bonne figure et d’affirmer qu’on trouve ça hilarant, il fait savoir qu’il n’est pas content. Accessoirement, il a aussi oublié que quand on se fait pincer la main dans le pot de confiture, il faut assumer. Bref, il grogne, pas très fort d’ailleurs. “C’est méchant et pas drôle.” Immédiatement la machine à réécrire l’histoire se met en marche. Sur internet, la chronique de Guillon “fait” des centaines de milliers de connections. La rumeur enfle : DSK veut sa peau. Le président de la République qui essayait sans doute de faire savoir subtilement à Guillon tout le bien qu’il lui veut, y va de sa petite phrase. Là, c’est la légion d’Honneur. Sarko demande sa tête ! Il vient de gagner ses galons de martyr pour le jour où ses employeurs voudraient se séparer de lui. Au moins dans son triste exil, retrouvera-t-il d’autres résistants tombés au combat contre le tyran comme PPDA et Alain Genestar – ça va être fun dans le camp de travail. En sera-t-il réduit, comme ce pauvre PPDA à officier sur Arte ? On n’ose imaginer une telle issue.
C’est l’émeute. Guillon est invité sur tous les plateaux à exposer avec solennité la haute conception qu’il a de sa mission d’intérêt général. “Le seul critère, c’est que ça fasse rire.” Quelle fulgurance ! Quelle hauteur de vue ! Quel courage ! La presse serre les rangs, consacre dossiers et analyses au Jean Moulin des ondes et des écrans. Pas un jour ne se passe sans que l’un des confrères du héros en remette une louche en signe de solidarité. Le pouvoir n’a qu’à bien se tenir. Nous ne sortirons que par la force des baïonnettes. De plus, Guillon est un fusil à deux coups. Son admirable courage rejaillit sur son employeur Jean-Paul Cluzel dont le départ était programmé par l’Elysée depuis belle lurette. Il sera désormais admis de tous que le président a décidé de le débarquer à cause de Guillon. (La plupart des confrères, probablement choqués sans oser l’avouer, ont assez vite renoncé à le défendre sur le coup du calendrier d’Act up pour lequel il a posé torse nu et le visage masqué. Il est vrai que lui-même a confessé une faute de goût ; sans doute a-t-il jugé qu’il serait assez hasardeux d’accuser Sarkozy d’homophobie.) Daniel Schneidermann dont l’obsession sarkozyste peut tempérer la justesse d’analyse tombe dans le panneau tête baissée : “Si le pouvoir cherche à déstabiliser Cluzel pour se débarrasser des impertinents de France Inter, écrit-il, il trouvera mille discours d’accompagnements.” Hier, Jean-Marie Colombani se rengorgeait parce que, disait-il, “Le Monde fait peur”. Désormais ce sont les Guignols qui font peur. Tremblez, puissants !
Dans cette hilarante ambiance d’union sacrée autour d’un pauvre comique sans défense, le sacre des Guignols ne pouvait mieux tomber. Là, pas d’improvisation. Les festivités, organisées par les idoles que l’on célébrait, furent aussi fastueuses que celles que donnaient autrefois les souverains pour une naissance ou un mariage princier. Hélas, le bon peuple n’est plus invité à se réjouir et à faire bombance et libations jusqu’à rouler sous la table, mais à se masser devant ses écrans et à se goberger de spots publicitaires. Nos nouveaux rois ne peuvent pas lever l’impôt, il faut bien qu’ils vivent. D’ailleurs, leur pouvoir est le plus démocratique qui soit puisqu’il repose sur l’audimat. Un incomparable sujet d’émerveillement pour les commentateurs que ces audiences dopées et ventes qui s’envolent. L’impertinence paye. Pas trop mal d’ailleurs.
Pendant que nous étions plantés devant nos télés, les célébrités ont bien dû avoir droit à quelques soirées à la mode d’avant, avec du vrai champagne et du pipole en veux-tu en voilà. Mais ne soyons pas chien, pour vous et moi, ils n’ont pas lésiné. Le gratin de l’humour et de la politique a défilé sur le plateau de Canal pour rendre hommage à ses maîtres. Les plus grandes gloires du journalisme bankable, ceux et celles qui ont une chance de passer à la fois dans Gala et dans Match, ont été invitées à dire leur petit compliment. Idée géniale et tellement innovante, la rencontre entre la caricature et l’original a été déclinée sous diverses formes, le personnage réel étant de toute façons invité à dire tout le bien qu’il pense de sa marionnette – on aurait aimé un Jean-Louis Debré un peu moins copain et un peu plus président du Conseil constitutionnel. Certes, les Guignols ont raté un gros coup, Chirac ayant décliné la proposition. Aucun humour, celui-là, et même pas la reconnaissance du ventre, puisqu’il a été décrété que l’ancien président devait son siège et sa popularité à sa marionnette (ce qui est peut-être vrai d’ailleurs).
À entendre les responsables politiques rivaliser dans la flagornerie à l’endroit de ceux qui se paient leur tête, on comprend qui a le pouvoir. “Les Guignols sont toujours aussi mordants”, affirme Le Parisien. Tellement mordants que la plupart des personnalités interrogées se débrouillent pour ne pas en dire de mal. “Ma marionnette me fait beaucoup rire” (Xavier Bertrand, type cool) ; “Je suis un fan inconditionnel… Mais je préfère la marionnette des autres à la mienne” (Jack Lang, comique involontaire) ; “C’est une forme de reconnaissance” (Yves Jégo, ministre méconnu). Pas très enthousiaste, Bayrou s’arrache cependant quelques mots aimables : “Au-delà du désagrément, il peut être utile de se faire cibler par les humoristes.” Même Le Pen juge que les Guignols sont parfois “drôles et impertinents et parfois convenus”. Faire rire Le Pen, c’est grave, non ? Heureusement, Philippe de Villiers est ouvertement hostile : non seulement il ne se reconnaît pas dans sa marionnette “catholique intégriste” et “xénophobe”, mais il en a marre que les gens croient l’avoir vu à la télé alors qu’il n’y passe presque jamais, beaucoup moins en tout cas que son double de latex. On vous l’avait bien dit : il est coincé, celui-là.
C’est François Hollande qui crache le morceau. S’il ne s’aime pas trop en benêt (encore qu’il préfère “passer pour un couillon” que pour un “salopard cynique”) il n’a “aucun doute sur le fond culturel des Guignols basé sur des valeurs progressistes”. Nous voilà soulagés et affranchis du même coup. Ce qu’on aime dans les Guignols, c’est qu’ils pensent comme tout le monde. Sous couvert d’impertinence, nos amuseurs ne font que répéter ce qui se dit partout à longueur d’antenne et de colonnes. Sarkozy est méchant, le Pape est méchant, Bush est méchant, Le Pen est méchant, les patrons sont méchants, nos redoutables trublions récitent chaque jour le catéchisme de la gauche convenable.
Peut-être que les sans-papiers, les malades du sida et les ouvriers licenciés aimeraient bien, eux aussi, qu’on se foute de leur gueule.
lundi 12 janvier 2009
Noa écrit au Hamas
Par Yvan Eisenbach pour Guysen International News
Dimanche 11 janvier 2009 à 21:45
La chanteuse israélienne internationalement renommée Noa a écrit une lettre ouverte aux Palestiniens, notamment ceux de Gaza, dans laquelle elle expose sa vision, pas naïve pour un sous, de la situation. Une lettre empreinte d'émotion, de poésie et de courage dans laquelle elle dénonce sans aucune ambiguïté l'extrémisme, le fanatisme et... le Hamas. Meilleurs extraits. |
Commençant par « chers frères palestiniens », Noa écrit : « C’est avec le cœur lourd que je vous écris aujourd’hui. Gaza brûle. La frontière avec Israël est sous le feu. Des enfants de chaque côté de la barrière sont terrifiés, traumatisés pour la vie, meurtris dans leur chair et dans leur âme. Le Sang coule. Et aujourd’hui, aujourd’hui je le dis, nous avons une ennemi commun, un horrible ennemi en commun, et nous devons tous travailler ensemble pour l’éradiquer. Cet ennemi est le fanatisme, mes amis. Cet ennemi est l’extrémisme dans toutes ses réincarnations et ses manifestations les plus abjectes. Cet ennemi, ce sont tous les hommes qui mettent « Dieu » au dessus de la vie, qui prétendent que « Dieu » est leur épée et leur bouclier, qui disent que « Dieu » est de LEUR côté. Juifs, Musulmans, Chrétiens, tous partagent ce trait noir. Tous sont tombés dans ce fanatisme destructeur et horrible à un moment donné de leur histoire, et les résultats ont été dévastateurs. Maintenant je vois l’immonde figure du fanatisme, je la vois grande et affreuse, je vois ses yeux noirs et son sourire glaçant, je vois du sang sur ses mains et je connais l’un de ses nombreux noms : le Hamas. Vous le savez aussi, mes frères. Vous connaissez cet horrible monstre. Vous savez qu’il viole vos femmes et lave le cerveau de vos enfants. Vous savez qu’il éduque à la haine et à la mort. Vous savez qu’il est chauvin et violent, cupide et égoïste, qu’il se nourrit de votre sang et hurle le nom d’Allah en vain, il se cache comme un voleur, se sert des innocents comme des boucliers humains, se sert de vos mosquées comme des entrepôts d’armes, il ment et triche, se sert de vous, vous torture, vous retient en otage. Je vous vois parfois, dehors dans les rues, manifestant aux côtés des monstres, criant ‘mort aux Juifs, mort à Israël’ !! Mais je ne vous crois pas ! Je sais de quel côté penche votre cœur ! Mais maintenant, aujourd’hui, je sais qu’au fond de vos cœurs VOUS DESIREZ la disparition de cette bête appelée Hamas, qui vous a terrorisé et vous a assassiné, qui a transformé Gaza en un monceau d’ordures de pauvreté, de maladie, et de misère. Qui, au nom d’‘Allah’, vous a sacrifié sur l’autel sanglant de la vanité et de l’avidité. Je ne peux que souhaiter pour vous qu’Israël fasse le travail dont nous avons tous besoin qu’il soit fait, et finalement vous débarrasse de ce cancer, ce virus, ce montre appelé le fanatisme, aujourd’hui, ayant pour nom le Hamas. Et que ces tueurs trouveront le peu de compassion qui pourrait encore se trouver dans leurs cœurs et ARRETENT de vous utiliser, vous et vos enfants, comme des boucliers humains pour leur lâcheté et leurs crimes ». Ce message a été publié sur le site israélien www.ipeace. un réseau qui compte plus de 14 000 membres à travers 180 pays. |
Gaza: Que signifie « disproportionné » ?
______________________________ André Glucksmann ______________________________ Philosophe, président de l'association des Amis du Meilleur des mondes |
Devant un conflit, l’opinion se divise entre les inconditionnels qui ont décidé une fois pour toutes qui a tort et qui a raison et les circonspects qui jugent en fonction des circonstances telle ou telle action comme opportune ou inopportune, quitte à retenir, s’il y a lieu, leur jugement jusqu’à plus ample informé. L’affrontement à Gaza, aussi sanglant et terrible soit-il, laisse poindre pourtant une lueur d’espoir que les images choc recouvrent trop souvent. Pour la première fois dans le conflit du Proche-orient, le fanatisme des inconditionnels paraît minoritaire. |
La discussion chez les Israéliens (est-ce le moment ? Jusqu’où ? Jusqu’à quand ?) roule comme à l’habitude dans une démocratie. La surprise est qu’un semblable débat partage à micros ouverts les Palestiniens et leurs soutiens, à tel point que, même après le déclenchement des opérations punitives israéliennes, Mahmoud Abbas, chef de l’autorité palestinienne, trouva le courage d’imputer au Hamas, en rupture de trêve, la responsabilité initiale du malheur des civils à Gaza.
Les réactions de l’opinion publique mondiale – medias, diplomates, autorités morales et politiques- semblent malheureusement en retard sur l’évolution des esprits directement concernés. Force est de relever le mot qui fait florès et bétonne une inconditionnalité du troisième type, laquelle condamne urbi et orbi l’action de Jérusalem comme « disproportionnée ». Un consensus universel et immédiat sous-titre les images de Gaza sous les bombes : Israël disproportionne. A l’occasion, reportages et commentaires en rajoutent : « massacres », « guerre totale ». Par bonheur on évite à ce jour le vocable « génocide ». Le souvenir du « génocide de Jenine » (60 morts), partout rabâché à la va vite et depuis déconsidéré, paralyserait-il encore l’excès de l’excès ? Néanmoins la condamnation, a priori, inconditionnelle, de l’outrance juive régule le flot des réflexions.
Consultez le premier dictionnaire venu : est disproportionné ce qui est hors de proportion, soit parce que la proportion n’existe pas, soit parce qu’elle se trouve rompue, transgressée. C’est la deuxième acception qui est retenue pour fustiger les représailles israéliennes jugées excessives, incongrues, disconvenantes, dépassant les bornes et les normes. Sous-entendu : il existerait un état normal du conflit Israël-Hamas que le bellicisme de Tsahal déséquilibre, comme si le conflit n’était pas, comme tout conflit sérieux, disproportionné dès l’origine.
Quelle serait la juste proportion qu’il lui faudrait respecter pour qu’Israël mérite la faveur des opinions ? L’armée israélienne devrait-elle ne pas user de sa suprématie technique et se borner à utiliser les mêmes armes que le Hamas, c’est à dire la guerre des roquettes Grad imprécises, celle des pierres, voire à son libre gré la stratégie des attentats suicides, des bombes humaines et du ciblage délibéré des populations civiles ? Ou mieux, conviendrait-il qu’Israël patiente sagement jusqu’à ce que le Hamas, par la grâce de l’Iran et de la Syrie, « équilibre » sa puissance de feu ?
A moins qu’il ne faille mettre à niveau non seulement les moyens militaires , mais les fins poursuivies. Puisque le Hamas – à l’encontre de l’Autorité Palestinienne – s’obstine à ne pas reconnaître le droit d’exister de l’Etat hébreu et rêve de l’annihilation de ses citoyens, voudrait-on qu’ Israël imite tant de radicalité et procède à une gigantesque purification ethnique ? Désire-t-on vraiment qu’Israël en miroir se « proportionne » aux désirs exterminateurs du Hamas ?
Dès qu’on creuse les sous-entendus du bien pensant reproche de « réaction disproportionnée », on découvre combien Pascal a raison et « qui veut faire l’ange, fait la bête ». Chaque conflit, en sommeil ou en ébullition, est par nature « disproportionné ». Si les adversaires s’entendaient sur l’usage de leurs moyens et sur les buts revendiqués, ils ne seraient plus adversaires. Qui dit conflit, dit mésentente, donc effort de chaque camp pour jouer de ses avantages et exploiter les faiblesses de l’autre. Tsahal ne s’en prive pas qui « profite » de sa supériorité technique pour cibler ses objectifs. Et le Hamas non plus qui utilise la population de Gaza en bouclier humain sans souscrire aux scrupules moraux et aux impératifs diplomatiques de son adversaire.
On ne peut travailler pour la paix au Proche-orient qu’à la condition d’échapper aux tentations de l’inconditionnalité, lesquelles hantent non seulement les fanatiques jusqu’au-boutistes, mais aussi les âmes angéliques qui fantasment une sacro-sainte « proportion » propre à équilibrer providentiellement les conflits meurtriers. Au Proche-orient, on ne se bat pas seulement pour faire respecter une règle du jeu, mais pour l’établir. On peut à juste titre discuter librement de l’opportunité de telle ou telle initiative militaire ou diplomatique, sans toutefois supposer le problème résolu d’avance par la main invisible de la bonne conscience mondiale. Il n’est pas disproportionné de vouloir survivre.