dimanche 7 décembre 2008

Boniface qui mal y pense

Boniface qui mal y pense

Des journalistes algériens auraient déformé ses propos. Les salauds !

I
l revient. Et il n’est pas content. À la suite de l’article que j’ai consacré à ses tribulations algéroises, Pascal Boniface nous envoie un droit de réponse dont malheureusement, chers lecteurs, vous ne pourrez lire que les deux paragraphes publiables, Gil Mihaely, directeur de la publication de Causeur, ayant estimé qu’il ne relevait pas du droit de réponse, entre autres raisons parce qu’il contient une série d’appréciations plutôt désobligeants sur quelques amis et surtout sur ma modeste personne, pseudo-journaliste, communautariste refoulée recourant à des méthodes rappelant celles de “la presse d’extrême droite des années 30″ et tutti quanti. Je remercie Boniface pour ses leçons de déontologie et l’invite à publier ses âneries ailleurs – ce dont il ne se prive d’ailleurs pas. Mon admiration pour Alain Finkielkraut et le soutien que je lui ai apporté le défrisent ? C’est son problème. Il n’aime pas mes opinions sur ceci et cela ? Je mentirais en disant que j’en suis désolée. Il trouve que je ne le lis pas assez ? Là, je reconnais que c’est assez bien vu même si, effectivement, j’ai encore en ma possession sa fameuse note intitulée : “Le Proche-Orient, les socialistes, l’équité internationale, l’efficacité électorale” (c’est moi qui souligne). Dans cette note qui lui valut une polémique avec Elie Barnavi et sa suspension de la commission internationale du PS, il écrivait notamment : “À miser sur son poids électoral pour permettre l’impunité du gouvernement israélien, (c’est encore moi qui souligne) la communauté juive est perdante là aussi à moyen terme. La communauté d’origine arabe et/ou musulmane s’organise elle aussi, voudra faire contrepoids et, du moins en France, pèsera vite plus lourd si ce n’est déjà le cas.” Je dois confesser que j’avais totalement oublié qu’outre ses nombreuses qualités il ne manque pas d’humour notre expert international. Il en fallait pour écrire en 2001 que “la communauté d’origine arabe et/ou musulmane pèsera vite plus lourd si ce n’est déjà le cas” (que la communauté juive). Bref, non seulement il comptait les juifs et les arabes mais il faut aussi dire qu’il comptait assez mal. Quant aux juifs qui misaient sur leur poids électoral pour peser sur la politique (hystériquement pro-israélienne comme on le sait) du président Chirac, qu’on me les amène car eux sont carrément des imbéciles. Mais peut-être ce document qui a miraculeusement survécu à quelques déménagements est-il un faux, une sorte de Protocole des sages de Sion dont on a voulu se servir pour faire taire cet expert si dérangeant.

Mais venons-en au fait. Donc, tout ce que j’ai dit, c’étaient que des menteries. Pascal Boniface n’a jamais tenu les propos que lui prête le quotidien El Khabar et dont j’ai utilisé la traduction en français publiée par le journaliste Chawki Freïha sur le site mediarabe. Dans un texte intitulé L’union des faussaires que j’invite les lecteurs de Causeur à lire de toute urgence, il s’étonne du crédit que moi et mes copains faussaires (en l’occurrence Mohamed Sifaoui et l’UPJF) portions du crédit “à ce journal en langue arabe dont on peut supposer que, d’ordinaire”, nous ne tenions “pas ce qui y est publié comme vérité absolue !”. J’avoue humblement n’avoir pas imaginé qu’un quotidien qui a cru bon d’inviter Pascal Boniface à un colloque ait pu déformer ses propos au point de lui faire dire le contraire de ce qu’il disait.

Car c’est de cela dont il s’agit : “Le problème, écrit mon contradicteur, est que les propos qui me sont attribués par ce journal sont à l’inverse de ce que j’ai dit et correspondent aux questions qui m’ont été posées et non aux réponses exactement inverses que j’ai faites. J’ai en effet au contraire déclaré qu’on ne pouvait pas parler de lobby juif en France, car les Juifs français avaient, tant sur le Proche-Orient que sur l’image des Arabes, des avis très différents. Je déclarais que des gens différents (ce qui montre qu’il n’y a pas de lobby juif) comme Lévy, Sifaoui et Val, tout en prenant des postures de courageux résistants, vont dans le sens du vent en développant globalement l’idée que si tous les musulmans ne sont pas terroristes, tous les terroristes sont musulmans, que si tous les musulmans ne sont pas des intégristes, tous les intégristes sont des musulmans.”

Je précise que le Lévy dont il est question est Bernard-Henri, Boniface ne va tout de même pas s’abaisser à citer une “excitée” (un peu faiblard pour votre servante, non ?) qui “squatte les plateaux télé” (pas assez si vous voulez mon avis mais bon, on ne peut pas être d’accord sur tout). Et je dois dire que même ces propos-là, je ne les trouve pas très malins. Je lui accorde volontiers cependant que le trio qu’il affirme avoir cité ne colle pas avec l’idée du lobby juif – si l’on s’en tient à une définition “communautaire” dudit lobby. En tout cas, si Pascal Boniface dit vrai, ce que nous ne saurions exclure par principe, je ne saurais trop lui recommander d’être plus prudent dans le choix des invitations qu’il accepte. Et je suis certaine que les faussaires algériens d’El Khabar – qui sont au moins aussi coupables et fielleux que moi- ont reçu une réponse aussi incendiaire. De même que les journalistes du quotidien francophone Jour d’Algérie qui ont publié le 5 novembre un compte-rendu du colloque. Il nous faut encore remercier Chawki Freïha qui a reproduit sur son site l’intégralité de l’article dont voici quelques extraits.

Médias occidentaux et monde arabe : “Attaquer les musulmans ne coûte pas cher” : Animant une table ronde sur les médias occidentaux et le monde arabe, le stratège français Pascal Boniface, invité mardi au Salon du livre d’Alger, soutient que le lobby arabe en Europe n’est guère puissant, ce qui facilite les attaques contre l’islam et les musulmans. D’emblée, il souligne que beaucoup de médias occidentaux s’acharnent aujourd’hui à diaboliser l’image des musulmans et de l’islam car ils savent qu’en contrepartie ils ne seront ni sanctionnés, ni pénalisés. “Les responsables des médias croient que ce sujet intéresse le public, que ça choque, que ça augmente l’audience alors ils en profitent ! D’autres pensent que dire cela est un courage intellectuel ! C’est considéré même comme de la lucidité et du courage”, dit-il, citant au passage quelques français réputés comme Bernard Henry Lévy, Philippe Val et Alain Finkelkraut, des intellectuels français qui s’inscrivent dans ce courant de pensée communautariste et qui reproduisent la pensée de la classe dominante en France et en Europe. Ils font dans le politiquement correct ! “Ces gens disent qu’ils ne sont pas contre les musulmans mais ils s’en prennent à l’islam ! Ils entretiennent un discours contradictoire et diffusent la confusion et l’amalgame. D’ailleurs, ils ouvrent les portes à tous les musulmans qui regagnent leur rang et se trahissent comme Mohamed Sifaoui.” Pour Boniface, les Français de confession musulmane ou d’origine maghrébine ou arabe sont intégrés dans la société française et c’est toute une population qui pousse et qui monte aujourd’hui en Europe. “Quand j’étais lycéen, dans ma classe il n’y avait aucun Français d’origine maghrébine ou arabe. Quand je suis entré à la Faculté, ils étaient quelques étudiants enfants de diplomates. J’enseigne aujourd’hui à l’université, en classe il y a un nombre important d’étudiants français de confession musulmane ou d’origine maghrébine. Les enfants de la cité sont là, ils ne veulent plus laisser leurs êtres aux vestiaires, ils veulent parler et s’exprimer”, lâche le conférencier. Illustrant ses dires, il raconte un fait divers rapporté récemment par les médias occidentaux. Une Française a été condamnée à six mois de prison ferme parce qu’elle a contrevenu aux lois canadiennes. Elle a suivi son mari qui a kidnappé ses enfants au Canada ! “Cela a été mis dans les faits divers. Imaginez un instant que son mari ait été d’origine algérienne ou arabe ! Cela aurait fait la une de tous les médias.”

Il est vrai que dans la version française, Pascal Boniface n’aurait pas employé l’expression “lobby juif”, mais, ainsi que je l’avais indiqué, ce n’est pas cette formule en soi qui me semble insupportable. J’admets au contraire que l’existence d’un tel lobby peut tout-à-fait être l’objet d’une discussion. Je déplore d’ailleurs à titre personnel que ce lobby, s’il existe, soit bien peu reconnaissant à l’égard de ses fidèles porte-parole. En revanche, je continue à trouver franchement inélégant pour ne pas dire absolument infect d’accuser Val, Lévy et Finkielkraut, de “s’en prendre à l’islam” et “d’ouvrir leur porte aux musulmans qui se trahissent comme Mohamed Sifaoui”. J’aimerais d’ailleurs un éclaircissement sur cette catégorie jusque-là inconnue de moi des “musulmans qui se trahissent”. Il faudra que Boniface m’explique comment je peux être une communautariste aussi échevelée que masquée parce qu’il m’arrive d’observer un certain antisémitisme, tandis que Sifaoui, lui, est un traître au motif que ses choix idéologiques ne sont pas inspirés par son origine. Mais, je le répète, sans doute les propos de Boniface ont-ils également été déformés par le quotidien francophone qui publiera sous peu le droit de réponse envoyé par l’offensé.

Comme l’écrit encore Chawki Freïha “le lecteur se retrouve devant deux versions diamétralement opposées, couvrant un seul et même événement. D’un côté, des journaux algériens qui reproduisent des propos, et de l’autre, l’auteur de ces propos qui les infirme. Qui dit vrai ? Il revient à l’intelligence du lecteur de faire la part des choses, en tenant compte d’une possible tendance des médias algériens à exploiter les propos de Boniface et à les amplifier pour des raisons que personne ne peut ignorer. Mais aussi, il convient de tenir compte de la sensibilité politique et idéologique de Pascal Boniface. Un exercice particulièrement délicat pour comprendre ce qui s’est passé à Alger”. J’ajouterai que si le journaliste de Jour d’Algérie a purement et simplement inventé les propos prêtés à Boniface, cela prouve au moins qu’il suit avec attention les débats en France car comme dit l’autre si non e vero…

J’attends donc avec impatience de recevoir les droits de réponse publiés par ces deux organes de presse dont les journalistes doivent être dénoncés comme les faussaires en chef et je suis certaine qu’ils seront rédigés dans des termes aussi choisis que celui auquel nous avons eu droit. Et s’il s’avère que tout cela est un bidonnage de la pire espèce, et que Pascal Boniface n’a rien dit qui ressemble à ce qu’on lui attribue, je lui présenterai volontiers mes excuses pour avoir cité ces confrères.

Dernière précision. Voilà encore ce qu’écrit Boniface : “Elisabeth Lévy me connaissait très bien dans les années 90 lorsqu’elle travaillait pour le journal Le Temps à Genève. Elle m’appelait alors régulièrement pour entendre mes analyses sur le conflit des Balkans. Jusqu’au jour où je lui ai dit que, si j’étais ravi de lire ses articles où je retrouvais la plupart de mes analyses, j’aurais apprécié qu’elle cite ses sources.” Outre le fait qu’il me reproche curieusement, dans la présente affaire, de citer mes sources, je trouve cette accusation doublement vexante : d’une part, le pillage dont nous sommes souvent victimes à Causeur me fait horreur – je suis connue pour être plutôt tatillonne sur la question – et d’autre part si je devais le pratiquer je ne choisirais pas Pascal Boniface comme victime. Il est vrai cependant qu’il m’est arrivé de l’appeler ainsi que d’autres chercheurs de l’IRIS lorsque je travaillais en Suisse (non pas au Temps mais au Nouveau Quotidien) et je l’ai régulièrement cité, il doit en rester quelques traces dans mes cartons, je me ferai un plaisir de les lui envoyer quand j’aurai le temps de faire de l’archéologie. Ce n’est sans doute pas ce que j’ai fait de mieux. Que voulez-vous, on est con quand on est jeune.


Elisabeth Lévy

mardi 25 novembre 2008

Le lobby juif, voilà l’ennemi !

Le lobby juif, voilà l’ennemi !

À Alger, Pascal Boniface ne tourne plus autour du pot : enfin un mec qui ose !



Par Elisabeth Lévy


Ce Pascal Boniface est très fort. Certes, on peut ne pas partager ses tropismes. Mais enfin, en quinze ou vingt ans de présence laborieuse dans le débat public, sa seule contribution originale a été de constater qu’il y avait en France plus de musulmans que de juifs et à appeler son parti le PS à en tirer les conséquences qui s’imposaient. Et après tout, à l’exception peut-être d’un certain cynisme, on ne peut pas reprocher grand-chose à ce raisonnement. Pour le reste, Boniface a réussi à être l’un de ces “experts” généralistes dont les médias raffolent en énonçant des banalités bien-pensantes ou des sottises sur toutes sortes de sujets allant de la guerre en Irak aux JO (l’un de ses fonds de commerce favoris). Boniface, c’est le type qu’on a pris l’habitude de voir ou d’entendre à tout bout de champ sans que plus personne ne se souvienne quand il est apparu et pour quelle raison. Il fait partie du décor. Au bout du compte, il n’est que l’un des multiples imposteurs qui pullulent sur les ondes et écrans – et, à vrai dire, plutôt une “roue de secours” qu’un “bon client”. Pas le plus talentueux, il est vrai, ce qui confère un côté vaguement mystérieux à sa trajectoire. Il faudrait un Balzac pour imaginer la somme de combines, calculs, intrigues et autres coups qui l’ont rendu incontournable. Après tout, mettre un pied dans toute porte qui s’entrouvre et ne plus lâcher, c’est un talent.

Il ne faut jamais désespérer de personne. Pour une fois, Boniface a fait preuve d’un courage réel en disant tout haut ce que la majorité des gens n’oseraient même pas penser tout bas. Non seulement, il proclame qu’il y a en France un “lobby juif1” mais, ce qui est plus surprenant de sa part, que celui-ci doit être un modèle pour les Arabes et les musulmans. Lesquels, a-t-il déploré, “ne disposent pas d’un lobby en Occident, capable de corriger l’image erronée de l’Islam, alors que des célébrités médiatiques s’emploient à ternir leur image”. (Pas d’énervement, la liste arrive !) Sans doute aviez-vous noté que “les médias occidentaux en général, et européens en particulier, en répandent une image déformée en alimentant l’amalgame entre l’islam (religion) et les mouvements islamistes (politiques ou terroristes)” ? Boniface vous dit ce qu’on vous cache : “Ces campagnes hostiles à l’islam sont commanditées par des intellectuels et des journalistes connus dans la sphère française, comme Bernard-Henri Lévy, Alain Finkielkraut et Philippe Val.” Saluons le fait qu’il ne cède pas à une vision étroitement ethnique, puisque Val est pris dans la rafle – sans doute comme crypto-juif. Et puis, il y a les traitres, ces musulmans qui contribuent à cette campagne anti-musulmane, comme Mohammed Sifaoui, qui lui aussi “bénéficie de l’appui des médias”. Le lobby a le bras long.

On notera de surcroît l’audacieuse conception de la vie publique qui affleure dans les propos de Boniface : si on comprend bien, il conseille aux musulmans d’utiliser les mêmes méthodes, ce qui semble signifier dans le contexte qu’ils devraient mener des « campagnes hostiles aux juifs ». Peut-être même pourrait-il être le Val des musulmans et prendre la tête de ce contre-lobby. Voilà en tout cas un esprit libre qui ne se couche pas devant le politiquement correct. D’ailleurs, il a payé le prix fort : “En France, il y a un puissant courant hostile aux Arabes et à l’Islam, et si tu n’en fais pas partie, il fait tout pour te faire taire. Ils ont ainsi tenté de me tuer professionnellement”, a-t-il encore affirmé. Heureusement que nos médias, plus que sourcilleux sur la liberté d’expression, continuent à donner la parole à ce rebelle, dont toutes les citations sont extraites de l’article de Chawki Freïha, publié à Beyrouth sur le site mediarabe.info.

Quelques esprits chagrins trouveront que les propos de Boniface ne sont pas si courageux que ça. Il est vrai qu’il les a prononcés à Alger, dans le cadre du forum “Monde arabe et Choc des civilisations” organisé le 5 novembre par le quotidien arabophone El Khabar dans le cadre du Salon du Livre. Boniface en a profité pour faire la promotion de la traduction arabe de son livre Est-il permis de critiquer Israël ? – un titre qui dénote un certain humour. Poser une question aussi iconoclaste, voilà qui dénote une pensée particulièrement “dérangeante”. D’ailleurs, il dérange, Boniface. La preuve, selon Chawki Freïha, “le livre était officiellement interdit au Salon du livre mais bien présent sur les étalages”. La preuve aussi que, contrairement à la France, l’Algérie est un pays libre. Au moins, là-bas, il n’y a pas de lobby juif.

PS : Je lance un appel solennel à tous les membres actifs ou dormants du lobby : de grâce, épargnez-nous les trémolos et l’indignation. Un imbécile ne fait pas plus une bête immonde qu’une hirondelle le printemps. Inutile d’en faire un martyr. Il n’y a qu’une chose à faire de Pascal Boniface : en rire.

jeudi 13 novembre 2008

Obamania et renoncement de l'opinion européen

Obamania et renoncement de l'opinion européen


Par André Glucksmann, philosophe
11/11/2008 | Mise à jour : 19:26 | Commentaires 30


Crédits photo : Le Figaro
En élisant Obama, les Américains - et le monde tout entier - semblent avoir succombé à une vision postmoderne de l'histoire, qui s'apparente à une démission.


Étonnons-nous. L'intronisation sur la planète de nouveaux dirigeants évidemment nous importe, que ce soit à Moscou ou à Pékin. Toutefois, en ce 4 novembre 2008, nous ne fûmes pas simplement concernés, mais remués, bouleversés, transportés.

L'élection de Barack Hussein Obama n'est pas seulement un événement objectif, c'est un avènement subjectif. Preuve que les États-Unis demeurent, malgré tous leurs détracteurs, capitale de la mondialisation. Entendons : non pas une hyperpuissance, mais un phare. Non pas le centre du monde, mais le pivot d'une communauté de destin qui nous lie pour le meilleur ou pour le pire. Les derniers mois, nous vécûmes bon gré mal gré à l'heure de Manhattan et nous avons frémi comme jamais lors d'une échéance électorale.

Le triomphe d'Obama fut homologué «historique» par ses adversaires - McCain, Bush, Condoleezza Rice - et salué par les mêmes avec les larmes d'une sincère émotion comme la victoire des États-Unis d'Amérique tout entiers. Elle prolonge la lutte contre l'esclavage et le combat pour les droits civiques.

Elle n'incarne pas une victoire communautariste des «Blacks», mais au contraire une transgression universaliste, une émancipation générale, où les Blancs, les grands et les petits, les «Wasp» et les sudistes échappent à leurs angoisses, leurs égoïsmes et leurs préjugés traditionnels, où les Africains-Américains dépassent leur enfermement et l'esprit de revanche, si magnifiquement décrits dans les films de Spike Lee. À son «Do the right thing», la réponse tombe : «Yes, we can !» Le «rêve américain», jamais totalement accompli, est une prise de risque sans cesse recommencée. Il instaure dès l'origine une société d'immigrés, un pays de dépaysés, une communauté de déracinés qui se reconnaissent une patrie dans l'avenir et qui petit à petit construisent une société de complet métissage, où hommes et femmes - noirs, blancs, métis, chocolat, café au lait, anciens et nouveaux venus aux religions multiples et à l'infinité des goûts - se projettent avec d'autant plus de patriotisme, égaux en droits et en devoirs.

Pareille pulvérisation prolongée des tabous, les plus intimes, douloureux et supposés indépassables, parle au monde : s'ils le peuvent, pourquoi pas nous ? Dans un pays qui connût il y a cinq générations l'esclavage, la ségrégation il y a trois décennies et qui vit une inégalité ethnico-sociale flagrante encore de nos jours, un «Noir à la Maison-Blanche» sidère et permet à la terre entière de percevoir une issue. Voilà qui explique notre adhésion lucide. Reste à scruter notre dévotion aveugle.

Étonnons-nous de nous. L'électeur américain s'est offert une «obamania» politique et festive, sagement majoritaire en bonne démocratie, avec un score adulte de 53 %. Le spectateur européen a cultivé, bien avant les résultats, une «obamanie» unanimiste, nord-coréenne et quasi religieuse à 84 %. Le taux d'adulation atteint parfois 93 % ! Comme si le Messie était apparu, non à Washington, mais entre Paris et Rome, Berlin et Bruxelles, comme s'il étendait son aile conciliatrice sur l'ensemble de la planète. Nous, Européens, avons allègrement gommé toutes les aspérités du candidat. Il soutient la peine de mort que nous sommes si fiers d'abolir. Il n'interdit pas la vente libre des armes qui nous paraissaient jusqu'à hier le signe fatidique de la barbarie américaine et de cette mentalité de cow-boy que nous, gens de qualité et de raffinements multiséculaires, vomissons. Wall Street, le temple honni de la spéculation carnassière, l'a choisi et financé, ce qui n'inquiète manifestement plus nos gauches antilibérales. Les yeux fermés, nous sommes satisfaits de tout ignorer des projets concrets qu'il n'a du reste pas dévoilés en matière de crise économique et internationale.

Notre rêve européen adoube un homme providentiel dont on attend tout sans rien exiger d'avance. Nos fantasmes couronnent un nouveau président innocent de nos péchés historiques, un leader blanc comme neige - simplement «bronzé» selon Berlusconi, qui l'intronise en alter ego de Poutine, ce fameux exterminateur de «culs noirs» caucasiens. À l'inverse, McCain, héros rescapé des geôles vietnamiennes, faisait tache ; son corps couturé par les blessures du tragique XXe siècle fut d'office ostracisé par la bien-pensante volonté d'oublier. Les opinions européennes, droite et gauche confondues, s'abandonnent à une vision postmoderne de l'histoire et démissionnent, comme s'il appartenait aux Américains et désormais à Obama seul de régir à notre place la gouvernance planétaire. 84 % ! Nous fêtons une puissance qui nous délivre de nos responsabilités et libère de l'obligation d'agir.

Telle est la composante malsaine de notre joie générale et consensuelle : déléguer à un autre immaculé le soin des malheurs du monde et des défis de l'avenir. Le rêve américain des Américains les engage à poursuivre le dur travail d'émancipation post-raciale et universelle de l'humanité. L'aboulique rêve américain du Vieux Continent s'installe, équivoque gardien de nos sommeils.


http://www.lefigaro.fr/debats/2008/11/15/01005-20081115ARTFIG00021-obamania-et-renoncement-de-l-opinion-europeenne-.php

In France, It’s Vive Le Cinéma of Denial

In France, It’s Vive Le Cinéma of Denial


PARIS — “W.,” Oliver Stone’s biopic about the outgoing American president, has just opened here. So has a French film about Coluche, the country’s most popular postwar comedian, Michel Colucci, who became a kind of anarchic candidate for president in 1981, an opponent of anti-immigrant sentiment, a champion of the poor.

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The French movie hardly bothers with politics, dwelling on Coluche’s love life instead. Cultural gulfs can sometimes reveal themselves in these small details. France, it turns out, remains, even all these years later, not insignificantly caught up in the cinema spawned by the Occupation, offering diversion, self-flattery and escapist fiction about itself.

Serious-minded Americans traditionally love to idealize the French movie industry, but as French cinephiles tend to see it, it’s their own filmmakers, unlike those in the United States, who shy away from tackling head-on tough issues like contemporary French politics, scandals and unrest. Contrarians will note “La Haine” (“The Hate”), a much-talked-about movie anticipating the violence that exploded three years ago in some of France’s poor immigrant suburbs. But “La Haine” was released in the mid-1990s.

Meanwhile, never mind poor box office results, the United States keeps churning out ambitious pictures with big stars or directors, like “In the Valley of Elah,” “Lions for Lambs,” “Rendition,” “Redacted” and “Body of Lies,” questioning American policy in the Middle East or otherwise seizing on the headlines. France hasn’t made a significant movie yet about the 2005 riots.

The country has censored politically charged films, including Jean-Luc Godard’s “Petit Soldat” (made in 1960 but not released until 1963), a rare French picture about the Algerian war of independence. “The Battle of Algiers,” the greatest film about that war, was an Italian-Algerian production, not a French one, directed by an Italian. It was banned for many years after its release in 1966.

The closest thing to a French “Apocalypse Now” or “Platoon” about Algeria is “L’Ennemi Intime,” made last year, close to half a century after the war ended. As for a French version of “W.,” any film skewering a sitting French president “would be nearly impossible to make here,” said Caroline Benjo, echoing what other French filmmakers contend.

They cite a mix of politics, stylistic habits perpetuating the national “brand,” financing and a collective anxiety about postwar French identity. The problem, you might say, goes back to de Gaulle’s selling the country on the idea that it won World War II, along with the culture of denial that that mindset promoted.

Ms. Benjo is a producer of “Entre les Murs” (“Within the Walls,” marketed in English as “The Class”), which won the Palme d’Or at Cannes this year. A drama about schoolchildren from a multiethnic neighborhood of Paris, it has so far done well at the French box office. Like the promiscuously awarded “La Graine et le Mulet” (opening next month in the United States as “The Secret of the Grain”), directed by Abdellatif Kechiche, which is about a community of immigrants in a seaside town in the south of France, “Entre les Murs” is “l’exception culturelle.”

That phrase ordinarily connotes not “exception to the rule” but the exceptional status of culture here. Money for French films comes partly from a percentage of ticket sales for American blockbusters, and from French television networks, which by law must underwrite films.

This means that French movies now at the multiplex, like “Faubourg 36,” a nostalgic music hall story about bygone France, or “Le Crime Est Notre Affaire,” a nostalgic mystery based on an Agatha Christie story, are effectively supported by French revenues from American films like “Blood Diamond,” “Charlie Wilson’s War,” “Syriana” and other news-hungry, Hollywood vehicles of precisely the sort that France doesn’t make.

Public television is government-run, of course, and the country’s most popular network, TF1, happens to be owned by Martin Bouygues, a close associate of the president, Nicolas Sarkozy. “Naturally television executives try to influence content,” Jean-Michel Frodon, the editor of Cahiers du Cinéma, noted the other day.

That said, France likes to boast, for good reason, that with more than 220 films made here a year, the country’s movie industry lags behind only those of India and the United States. Among these 220 movies, a modest number of high-quality documentaries or fictional dramas detailing poverty or immigrant life here are released, but they’re generally “small films made in the shadows,” Mr. Frodon said.

As Antoine de Baecque, a film historian, put it, “French cinema since Nouvelle Vague deals with reality in a certain way.” He was talking the other afternoon about the French New Wave of the late 1950s and ’60s, led by François Truffaut and Mr. Godard. “We like to fracture, distort and romanticize — to see trauma but obliquely, abstractly. In this sense French cinema is the opposite of American cinema. It values style over realism, the small form over the epic.”

Mr. de Baecque chalked this approach up to a French “inferiority complex, a feeling that since World War II, France, despite what we like to tell ourselves, is downgraded from the front rank of history, which creates melancholy, a malaise,” he said. “The romantic comedies, the sentimental affairs, they are fictions that remove us from real life and are precisely the kind of movies that emerged out of the Occupation.”

The most popular film ever made in France was released this year, “Bienvenue Chez Les Ch’tis” (“Welcome to the Land of the Sh’tis”), a harmless comedy about a postal employee from the South forced to work in the North. Largely unnoted by the French, admirably or out of avoidance, was that the two main stars of the movie, imitating regional clichés, both happened to be Frenchmen of North African descent.

On the other hand, newspapers were full of stories the other week about the burning of cars belonging to Luc Besson’s film crew. In Montfermeil, a poor town outside Paris, Mr. Besson has been shooting a big-budget American-style thriller with John Travolta. But it’s not about the riots in that neighborhood in 2005.

For that, French people these days must turn to programs like “La Commune,” a dark television drama that ran this year on Canal Plus. Its inspiration was not French cinema but American cable series like “The Wire” on HBO. “La Commune,” glowingly received by French critics, was canceled when the network decided its audience wasn’t large enough; never mind that other shows on Canal Plus with similar audiences were renewed.

Abdel Raouf Dafri, the show’s writer, an excitable 44-year-old even without the heavily sugared espressos he gulped one recent morning, shook his head in disgust. “The real-life characters in the series were blacks and Arabs, traditional conservative Muslims, leaders after the white policeman in the neighborhood had given up,” he said, “and France doesn’t like to look in the mirror except to see itself as the most beautiful nation. Some people thought the series was too violent, but I said look at American series. The French response to that was, ‘Yes, but it’s the U.S.,’ as if there’s no violence here.”

Mr. Dafri lately wrote the screenplay for “Mesrine,” which just opened to good reviews that noted its Americanness. About a real-life French gangster of the 1960s and ’70s, Jacques Mesrine, who became a kind of populist outlaw, a French Pretty Boy Floyd, the movie has a definite political undercurrent. Mr. Dafri said he looked to Francis Ford Coppola and Martin Scorsese, to Showtime and “Prison Break,” “24” and “The Sopranos.”

“In the United States,” he said, “you know how to make films and television series that are intelligent and political and don’t forget the entertainment factor. In France we just want to be intellectual.” He nearly leaped out of his seat saying that last word.

Emmanuel Daucé, a producer of “La Commune,” who was joining Mr. Dafri for morning coffee, nodded. “We still have an old left that thinks it’s vulgar and politically dubious to make commercial movies,” he said. “We invented the dramatic series, with Zola and Balzac and Hugo, but it’s as if we forgot what we started.”

Back at the offices of Haut et Court, the production company for “Entre les Murs,” Ms. Benjo agreed, while also bemoaning screenwriting, which accounts here for far less of a film’s budget on average than in Hollywood.

“We prefer to euphemize, to think small in our movies,” she said. She returned to the legacy of the New Wave, saying it has been misunderstood. New Wave filmmakers were against long-winded scripts, but not against well-written ones.

“Look at the French films that sell on the international market, and you’ll also see they aren’t always the best ones, but they’re the ones that fit the expectations of French cinema,” her colleague, Carole Scotta, another producer of “Entre les Murs,” added. “We’re prisoners of these expectations.”

“And yes, we just don’t want to see ourselves as we really are,” she said. “It took a long time for politicians here to admit France bore responsibility for the years of collaboration during World War II, and still Sarkozy likes to say we were a nation of resistance. The most successful films in this country reflect our collective projection of France as we wish it to be. We prefer to live in a dream.”

The other evening Parisians mobbed the Pathé multiplex on the Place de Clichy. Many lined up to catch Woody Allen’s “Vicky Cristina Barcelona,” a virtual French romantic comedy made by an American in Spain. When the last ticket for it was sold, the couple next in line just shrugged.

They went instead to “Cliente,” a French comedy about a middle-aged female television anchor who pays for sex with a younger man.

It’s been doing nicely at the box office.


http://www.nytimes.com/2008/11/04/movies/04abroad.html?_r=2&oref=slogin&pagewanted=all

mercredi 29 octobre 2008

Elie Wiesel: «Pourquoi le monde n'a-t-il rien appris?»

Un entretien avec le prix Nobel de la paix

Elie Wiesel: «Pourquoi le monde n'a-t-il rien appris?»

Alors qu'il publie «le Cas Sonderberg», le prix Nobel de la paix revient sur les vertus et les impasses d'une mémoire aujourd'hui menacée par la banalisation 

Rarement un roman avait été peuplé d'autant de points d'interrogation. C'est que dans les thèmes abordés par Elie Wiesel, rien ne va de soi. Un jeune Allemand, accusé du meurtre de son oncle, plaide «coupable et non coupable». Son procès réveille de vieux démons : la solution finale, la difficulté de juger, la tentation de prendre le monde pour un théâtre sans voir que «l'histoire n'est pas un jeu». Une telle densité du propos pour rait nuire, s'il ne s'imposait grâce à une narration fluide, servie par une langue claire et nette. Wiesel s'autorise une allusion à «la Chute» de Camus. C'est dans cette veine-là, un certain cynisme en moins, que s'inscrit «le Cas Sonderberg»: celle d'un roman à idées soumis à la question, toujours mordante, d'une impossible innocence. 

GL

Le Nouvel Observateur. - Vous vivez aux Etats-Unis, où vous enseignez, et votre roman se déroule dans le milieu juif new-yorkais, mais il est écrit en français. Cette langue vous porte-t-elle mieux que les autres?

Elie Wiesel. - Absolument. Pourtant, à mon arrivée en France en 1945, je ne parlais pas un mot. Mais j'aimais cette langue. Je connaissais le roumain, le hongrois, le yiddish, mais il me fallait une langue pour m'accrocher : pour l'habiter et pour qu'elle m'habite. Ça a été très facile à apprendre. J'aime cette intelligence qui se cherche dans la phrase. Pour moi, le français est la langue de l'intelligence; et un défi, car j'ai un penchant pour le mysticisme qui pourrait être incompatible avec le rationalisme cartésien. J'ai publié cinquante livres. Beaucoup n'auraient pu être écrits dans une autre langue. Je rédige des articles en hébreu pour des journaux israéliens; je donne des cours en anglais; pour un livre, non, c'est le français. Même les auteurs américains, je les lis en traduction française.

N. O. - Ce roman est un concentré de vos obsessions...

E. Wiesel. - Oui, c'est pour moi une somme.

N. O. - Pour passer à autre chose ensuite?

E. Wiesel. - Non, pour aller plus loin. Je tenais à affronter le problème de l'Allemagne. Jusqu'ici je me suis intéressé aux victimes, pour être avec elles, mais pas aux bourreaux. Or de jeunes Allemands suivent mes cours, et j'éprouve pour eux un sentiment de solidarité: eux aussi sont des victimes. De leurs parents, de leur passé. Ils ne sont pas coupables. Seuls les tueurs le sont. Hitler voulait assurer l'avenir de l'Allemagne, il a fait exactement le contraire: il l'a tué. J'étais allé faire un discours au Parlement allemand. A la fin, je me suis tourné vers le président Johannes Rau pour lui dire: «Vous avez beaucoup fait depuis la guerre, vous êtes devenus une vraie démocratie, vous avez aidé Israël, vous avez aidé les survivants. Mais vous n'avez jamais demandé pardon au peuple juif.» Il y a eu un silence. Je ne sais pas comment c'est arrivé mais, un peu plus tard, il a pris l'avion, il est allé à Jérusalem, et il a demandé pardon officiellement...

N. O. - Pour votre personnage, le mot capital est «pourquoi». Mais pour vous, quelle est la question qui domine les autres?

E. Wiesel. - Pourquoi le monde est-il encore le monde qu'il est? En 1945, paradoxalement, j'étais très optimiste. Je pensais: on a appris. Si quelqu'un m'avait dit que je devrais encore combattre le fanatisme.... Ma question est : pourquoi le monde n'a-t-il rien appris ? Mais vous avez raison, ma vie est un point d'interrogation.

N. O. - Sous quelle forme pourra désormais se transmettre cette «histoire qui, jusqu'à la fin des temps, fera honte à l'humanité»? Vous appartenez à l'une des dernières générations de témoins directs des camps...

E. Wiesel. - Une espèce en voie de disparition. Je n'aimerais pas être le dernier survivant. Ce serait trop lourd. En même temps je ne suis pas peureux. Cet événement est le plus documenté de l'histoire. Même les bourreaux ont tenu des journaux. Les victimes, les enfants, les musiciens, les poètes ont témoigné. Dans les ghettos, on ne faisait que ça: on écrivait. Aujourd'hui encore, aucune période ne suscite autant de colloques, de publications... Ma peur, c'est la banalisation, la trivialisation de cette mémoire.




N. O. - Qu'avez-vous pensé quand Nicolas Sarkozy a voulu confier à chaque élève de CM2 la mémoire d'un enfant déporté?

E. Wiesel. - Je suis convaincu que l'intention était bonne. Mais à quel âge un enfant peut-il comprendre cet événement? Des gosses demandent à 8 ans, d'autres à 14, mais a-t-on le droit de forcer un enfant? Non. Si une maîtresse se rend compte que là, dans le coin, un petit garçon ne veut pas entendre cela, il ne faut pas le forcer. Nicolas Sarkozy n'a pas saisi le drame lié à cette position. Son idée m'a ému, mais aussi choqué.

N. O.- Au-delà d'un certain seuil, le devoir de mémoire ne risque-t-il pas d'être contre-productif? Votre narrateur dit bien de l'histoire qu'il va raconter que «la littérature en est déjà pleine»...

E. Wiesel. - Dans mon roman précédent, j'ai parlé de l'excès de mémoire : on peut devenir fou uniquement parce qu'on se souvient. Si je me souvenais de tout... Non, ce qui me fait peur, c'est l'emploi qu'on fait de cette mémoire: le kitsch, les docudramas. Il faut un peu de retenue. Il faut dire «moi».

N. O. - Vous pouvez le faire légitimement. Mais les autres? Doivent-ils passer par la fiction?

E. Wiesel. - Il est impossible d'écrire un roman sur Auschwitz. Soit ce ne sera pas un roman, soit ce ne sera pas Auschwitz. Que d'autres essaient, je ne suis pas un censeur; moi, je ne peux pas. Mais à propos de banalisation, voyez l'emploi du mot holocauste en Amérique. Je suis tombé à la télévision sur un programme sportif dont le présentateur s'exclamait, à propos de la défaite d'une équipe : «Quel holocauste !» Quand il y a un incendie, des morts, ce mot apparaît. Donc moi, je ne l'emploie plus. Je regrette de l'avoir fait, aucun mot ne convient. Faute de mieux, j'écris «Shoah» dans mon roman. Ou alors je dis «la destruction». Mais mieux vaut simplement dire «Auschwitz». Et si on le dit sans trembler, alors il ne faut pas le dire.

N. O. - Il est aussi question de Jérusalem dans votre roman. Restez-vous optimiste au sujet d'Israël?

E. Wiesel. - Je me force à l'être. Je suis convaincu qu'avant la fin de l'année il y aura une sorte d'accord de paix. On sent que les Israéliens veulent maintenant la paix. C'est juste une question de quelques mètres de territoire. Le problème n'est pas entre le Hamas et Israël. Il est entre le Hamas et le Fatah, qui n'arrivent pas à s'entendre, alors qu'Israël est prêt à payer le prix. Sharon m'a dit que le mur qu'il a fait construire serait détruit dans les 48 heures si la paix était rétablie. Oui, je reste optimiste. Je n'ai pas le choix.




Propos recueillis par Grégoire Leménager 


«Le Cas Sonderberg», par Elie Wiesel, Grasset, 256 p., 16,90 euros. «Entretiens avec Elie Wiesel. 1984-2000», par Michaël de Saint-Cheron, Parole et Silence, 156 p., 13 euros.

Source: «le Nouvel Observateur» du 23 octobre 2008.

Philippe Val : ''L'affaire Siné est un avertissement''

Philippe Val : ''L'affaire Siné est un avertissement''

Par Christophe Barbier, mis à jour le 23/10/2008 18:38:18 - publié le 22/10/2008 17:06

Reviens, Voltaire, ils sont devenus fous, c'est trois livres en un. Le récit, d'abord, du procès des caricatures de Mahomet publiées par Philippe Val dans Charlie Hebdo, en février 2006. La narration, ensuite, de l'affaire Siné, licencié après des caricatures sur Jean Sarkozy, sa fiancée, le judaïsme et l'argent. Enfin, l'ouvrage tire d'édifiantes leçons sur la société française et, surtout, sur la gauche. Rencontre avec l'auteur.

L'issue de l'affaire des caricatures de Mahomet n'est-elle pas rassurante sur la résistance de l'Etat de droit à l'intolérance ?

Ce n'est pas si simple. Il a fallu faire campagne pour être jugé en droit, et non selon des stratégies politiques. On nous disait qu'il ne fallait pas exciter les forces sombres travaillant la communauté musulmane, ni porter tort au commerce extérieur de la France. Mais, malgré même les déclarations du président de la République d'alors, la justice a été rendue comme on le souhaitait.

Jacques Chirac a-t-il tout fait pour obtenir la condamnation de Charlie ?

Oui. Il a un tropisme proarabe. D'ailleurs, il habite toujours dans l'appartement parisien de Hariri, ce qui est un scandale. Il craignait aussi des attentats islamistes.

Argument recevable ? La démocratie doit-elle faire des concessions par prudence, condamner Charlie pour sauver des vies ?


Le terrorisme triomphe quand il crée chez nous de l'exception, quand nous suspendons les libertés fondamentales, quand la démocratie haïe se renie. Même pour ce qui semble anecdotique, comme la tenue des filles à l'école. Plus la démocratie recule, plus elle est victime du terrorisme. Elle doit donc préserver ses propres intérêts supérieurs, dont la liberté d'expression, au-delà des journaux. Ainsi, il y a la continuation de l'histoire de l'art, qui signe la vitalité d'une civilisation. La créativité est toujours au bord du scandale. Villon, Modigliani... La civilisation progresse par le commentaire scandaleux de ses propres canons classiques. Si cela s'arrête, elle se grippe, les libertés disparaissent. C'était l'enjeu des caricatures.

Notre démocratie n'est-elle pas fatiguée, trop vieille pour ces défis ?


« Si on publie des caricatures de Mahomet, il y aura des bombes dans le métro. Voulez-vous des attentats ? Non ? Alors refusez les caricatures. » Voilà qui est simple à comprendre, qui ne nécessite aucune médiation entre le locuteur et le citoyen. En revanche, il faut de la médiation pour expliquer que, en censurant les caricatures, la démocratie s'affaiblit. Or les médiateurs - politiques, intellectuels, élites, journalistes - ne sont plus entendus et le simplisme l'emporte. Ségolène Royal m'a envoyé un SMS - « Bonne chance pour votre procès » - et n'a pris aucune position publique, en pleine campagne présidentielle. Quelle déception ! Elle s'adresse aux gens avec des propos simples ; dès que c'est compliqué, elle préfère se taire. C'est de cela dont la démocratie est malade.

Nicolas Sarkozy vous a soutenu : par conviction ou par intérêt politique ?

Il tire peut-être un avantage politique de ce soutien, mais, sur un sujet difficile, alors qu'il y a plusieurs millions d'électeurs musulmans en jeu, il n'hésite pas. A mon sens, il n'a pas joué double jeu. 

Pourquoi dites-vous que c'est « au coeur de la gauche » que se joue l'affrontement décisif ?

Parce qu'il y a une gauche antieuropéenne, antidémocrate et surtout antiaméricaine qui prône les mauvais choix.

Cette gauche n'a-t-elle pas perdu le combat ?

En apparence, mais c'est peut-être parce qu'on a jeté un paillasson sur les querelles. Si elle ne les tranche pas vraiment, la gauche ne retrouvera pas le pouvoir, car elle s'épuisera toujours davantage à se combattre elle-même qu'à s'opposer à la droite. Un peu d'histoire. A partir de 1880 environ, une gauche apparaît, qui peut prétendre à un gouvernement démocratique, mais affronte une gauche proudhoniste, anarcho-syndicaliste, qui exprime en même temps sa doctrine sociale et son antisémitisme : l'anticapitalisme est aussi la dénonciation du juif, lié à l'argent. Cet affrontement perdure, par-delà l'affaire Dreyfus ou la Seconde Guerre mondiale. Dès la Libération, par son discours sur la France, de Gaulle ferme la porte à tout travail de mémoire ; la rupture de 1968 lance une période d'introspection : Paxton, Le Chagrin et la pitié, le procès Barbie, Shoah, etc. Les médiateurs font alors du bon travail, mais cette phase trop brève s'achève avec le procès Papon, utile mais insuffisant. La question antisémite n'est pas « lavée » à gauche. De plus, on passe d'une génération de journalistes dont le référent historique est Auschwitz et le modèle Albert Londres - on regarde, on raconte - à une génération dont la « scène primitive » est le conflit israélo-palestinien et les modèles, Denis Robert et Serge Halimi...

Peut-on, sur fond de ce conflit, être antisioniste sans être antisémite ?

C'est impossible. Israël est une démocratie et le sionisme est l'expression, partagée par la droite et la gauche, du patriotisme israélien. « Sioniste », c'est le mot pour dire patriote. Il n'y a qu'aux juifs qu'on refuse le droit au patriotisme. On peut légitimement se dire opposé à la politique du gouvernement israélien, mais se dire antisioniste, c'est se dire antijuifs.

République et nation, c'est la même chose, écrivez-vous. Est-ce si sûr ?

En France, oui : la République a accouché de la Nation.

Etes-vous républicain avant tout ?

Je suis avant tout démocrate.

Acceptez-vous qu'on soit républicain avant d'être démocrate ?

C'est un point de vue qui ne me gêne pas, sauf à gauche. Quand la nation se crée en France, elle se veut souveraine parce qu'elle est entourée de régimes hostiles. Lorsque cette souveraineté fondatrice est considérée comme un absolu - la « France éternelle » - alors, elle devient une idée maurrassienne, qui fonde la droite. Etre de gauche, au contraire, c'est approuver la mutation, accepter de se fondre dans un idéal collectif plus grand que la nation, de perdre une dose de souveraineté, d'accroître le partage démocratique. Je me demande donc ce que Jean-Pierre Chevènement ou Jean-Luc Mélenchon font à gauche, alors qu'ils défendent ces thèses de droite. Tout à fait honorables, mais de droite.

Selon vous, une partie de l'anticolonialisme des années 1960 s'est muée en antisionisme. Effet de génération, qui s'éteindra ?

Besancenot ne serait pas si « tendance » si cela s'éteignait. L'anticolonialisme était une lutte tout à fait noble. Mais, dix ans après la Seconde Guerre mondiale, pour une partie de la gauche qui avait raté le rendez-vous avec la Résistance, l'enthousiasme anticolonial tombait à pic. L'Algérie, ce fut une session de rattrapage confortable : plus facile de lutter contre l'Etat français colon que contre les Allemands... Pour certains, il y a une revanche à prendre sur leur propre pays ou, comme chez Vergès ou Genet, une haine de la France. Après 1967 et la guerre des Six Jours, ils trouvent un colon de substitution : Israël. Avec une confusion entre les colonies d'Israël - qui ne serait pas contre ces obstacles à la paix ? - et Israël considéré comme colonie dans son intégralité. Cela permet à cette gauche d'exprimer son antisémitisme sans risquer l'opprobre.

Ceux qui tolèrent l'antisémitisme des pays arabes les « infantilisent » : que voulez-vous dire ?

On accepte chez eux des comportements, des propos qu'on ne supporte pas, qu'on pénalise chez les Occidentaux. C'est un mépris. Il faut dire aux Arabes : faites un travail de mémoire sur les liens de certains mouvements nationalistes et religieux arabes avec le nazisme, sinon vous n'édifierez pas de démocratie et ne profiterez donc jamais des richesses que vous pouvez produire.


Quelle taille a aujourd'hui la « nébuleuse rouge-brun » ?

Elle est disparate. Je ne pense pas qu'aujourd'hui elle puisse faire bloc autour d'un leader, mais elle empoisonne notre démocratie. C'est un toxique qu'on refuse d'attaquer, car on craint qu'elle ait, comme un iceberg, une importance cachée. Les politiques sont timides, prison- niers de l'idéologie de l'AOC, l'appellation d'origine contrôlée : comme s'il y avait aussi, derrière le « rouge-brun », une tradition à préserver ! Cela donne aujourd'hui, en France, une paranoïa antiaméricaine de type chaveziste, ou cette ahurissante mode de Cuba. Cuba est une horrible dictature, mais elle est AOC ; le juif, lui, est nomade, pas AOC. Quand la droite dit qu'il y a des choses éternelles et que la gauche affirme qu'il faut des mutations, la démocratie fonctionne. Que la gauche célèbre à son tour l'immuable, c'est anormal.

Virer Siné pour avoir insinué que Jean Sarkozy se convertirait au judaïsme par ambition sociale, n'est-ce pas oublier la leçon des caricatures ?

Ne pas voir la différence entre les deux affaires montre comme la médiation est difficile aujourd'hui. D'abord, Siné n'a pas dessiné une caricature, mais écrit un texte : c'est une différence importante. Ensuite, les caricatures de Mahomet tentaient de dénoncer l'instrumentalisation de la religion à des fins de crime de masse. Elles ne tombaient pas dans la vulgate raciste, comme, par exemple, établir un lien entre « Arabe » et « voleur ». Siné, lui, relie « juif » et « argent ».

Ne fallait-il pas attendre qu'un tribunal le condamne pour antisémitisme ?

Je ne l'ai pas viré pour antisémitisme et ne l'ai pas qualifié d'antisémite : je lui ai demandé de partir parce qu'il a refusé de lever l'ambiguïté de ses propos et de présenter des excuses.

Philippe Val
14 septembre 1952 : Naissance à Paris

1970 : Débuts du duo scénique avec Patrick Font ; ils rompent tout contact après la condamnation du second pour attouchements sexuels sur mineurs de moins de 15 ans, en 1998.

1992 : Lance La Grosse Bertha, puis relance, avec Cabu, Charlie Hebdo, dont il devient le directeur de la rédaction et de la publication.

Février 2006 : Charliepublie les caricatures de Mahomet.

Juillet 2008 : Philippe Val stoppe la collaboration de Siné à Charlie Hebdo


Que répondez-vous à ceux qui disent que son propos a été sanctionné parce qu'il visait Jean Sarkozy ?

Pour n'importe qui, j'aurais agi de la même façon. En outre, quel directeur d'un journal indépendant virerait un de ses collaborateurs à la demande de Sarkozy ? Aucun, je pense. Etant donné les fâcheux précédents, il est probable que Sarkozy ne demanderait jamais ça. Par ailleurs, il y a le reste de la chronique de Siné : quand il dessine une juive rasée, c'est non pas la représentation d'une Loubavitch, mais d'une déportée qui vient immédiatement à l'esprit. Comment Siné pourrait-il l'ignorer, lui qui a passé cinquante ans à dessiner des juifs et des Arabes ?

L'antisarkozysme est-il un antisémitisme ?

Dans un édito, il y a quelques mois, sur la énième loi sur l'immigration, j'ai écrit qu'elle encourageait la xénophobie, et j'ai pronostiqué que cela se retournerait contre Sarkozy : ceux qui applaudissaient ces lois, déçus plus tard par le président, le traiteraient de petit juif hongrois, et nous serions bien peu nombreux, ce jour-là, pour le défendre contre une opinion raciste. L'affaire Siné et les réactions qu'elle a suscitées sont un avertissement. C'est tombé sur son fils.

Le dessin de Plantu, dans L'Express, a choqué : est-ce à cause du brassard, dont il affuble tous les sbires, mais qui a été vu comme un insigne nazi sur votre bras, tandis que vous chassiez Siné à coups de bottes ?

Plantu utilise trop la symbolique et pas assez l'imagination. C'est le recours à la symbolique par manque d'idées qui l'a fait déraper. De ce point de vue, mais c'est moins grave, même ses colombes de la paix sont insupportables. De plus, son dessin me concernant a un côté « il y a le feu et j'apporte mon bidon d'essence ».

L'affaire Siné a-t-elle dépassé Saint-Germain-des-Prés ?

Le plus gênant, c'est qu'elle soit possible, avec Marianne, Libé, Le Monde, L'Obs, L'Express et Télérama, qui, à un moment ou à un autre, publient des pages contre moi. Cela lève des tabous et les gens se lâchent. Jamais, pendant l'affaire des caricatures, je n'ai été aussi insulté que lors de l'affaire Siné. La première a révélé quelque chose de la société, la seconde a dit quelque chose de nous, les « médiateurs ».

Si c'était à refaire ?

Je referais la même chose.


Reviens, Voltaire, ils sont devenus fous, par Philippe Val (Grasset). 
295 p., 18,50 euros.

Philippe Val
14 septembre 1952 : Naissance à Paris

1970 : Débuts du duo scénique avec Patrick Font ; ils rompent tout contact après la condamnation du second pour attouchements sexuels sur mineurs de moins de 15 ans, en 1998.

1992 : Lance La Grosse Bertha, puis relance, avec Cabu, Charlie Hebdo, dont il devient le directeur de la rédaction et de la publication.

Février 2006 : Charliepublie les caricatures de Mahomet.

Juillet 2008 : Philippe Val stoppe la collaboration de Siné à Charlie Hebdo


jeudi 23 octobre 2008

Les Juifs existent-ils ?

Les Juifs existent-ils ?


Shlomo Sand voulait lancer la polémique. Il ouvre un grand débat

Mauvaise nouvelle pour les juifs : ils n’existent pas. Mais il n’empêche : en tant que juifs, ils doivent quitter le Moyen-Orient ou bien accepter de se fondre dans un Etat palestinien à majorité musulmane. Telle est la thèse et telle est la conclusion de l’essai de l’israélien Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé.


Commençons par la démonstration. La revendication ethnique des juifs sur la terre des Hébreux ne tient pas, soutient Sand, pour la bonne et simple raison que les Israéliens n’ont de liens généalogiques que fort ténus avec leurs ancêtres bibliques. L’universitaire n’apporte, à dire vrai, que peu d’éléments nouveaux : que la majorité des Ashkénazes soit issue du monde slave et du royaume kazhar, et que pour l’essentiel les Sépharades soient des Berbères, des Latins, et des Grecs convertis, voilà qui est dorénavant admis. Il consacre néanmoins de longs développements à nous narrer l’histoire de ces conversions sur trois continents, depuis l’époque où deux souches du judaïsme, la rabbinique et la paulinienne, rivalisaient en Méditerranée. L’une, défaite, privée de son Temple-Etat, renoncera au prosélytisme ; l’autre, ayant fait la conquête de l’empire romain et opéré une mue théologique radicale, refondera sa cité sainte – et entrera, majestueuse, dans l’Histoire sous le nom de catholicisme.

Dans l’”invention du peuple juif”, la période déterminante, poursuit Sand, sera celle des nationalismes européens du XIXe siècle. Redoutant – et combien à raison ! – que leurs coreligionnaires soient éradiqués d’une Europe rêvant d’Etats racialement et religieusement uniformes, une partie de l’intelligentsia juive imaginera un projet similaire. Il fallait pour cela une terre, et sur cette terre, une légitimité. Ce sera Israël, bien sûr, renommée Palestine par les Romains. Restait la question de la légitimité… Les Hébreux ayant été expulsés après la destruction du royaume d’Israël en 70 de notre ère, leur Exil devait prendre fin avec le retour en Terre promise. CQFD.

Le problème, selon Shlomo Sand, est que l’Exil est un mythe : si de très nombreux juifs émigrèrent de leur contrée dévastée, si davantage encore furent livrés à l’esclavage (leur descendants priant aujourd’hui dans des églises siciliennes ou criant “Allah Akbar !” dans les rues du Caire), la majorité resta sur place, privée de souveraineté. Les millions de juifs revenus en Israël depuis le début du XXe siècle, et plus encore après la fondation de l’Etat en 1948, seraient donc, à en croire l’auteur, les enfants non de l’Exil mais de sa conséquence : la conversion de nouvelles populations. Et sur place, ils trouvèrent face à eux des musulmans en grande partie d’origine juive1.

Si la conclusion de Sand ne nous intéresse guère2, son récit de la genèse du sionisme comme fiction ethnique (”un peuple-race en errance”) est stimulant. Quiconque s’est promené dans les rues de Tel-Aviv ne peut croire une seconde à l’unicité raciale des juifs : il y a un type danois, un type mongol, mais pas de type juif. Têtes blondes et têtes crépues, yeux bleus et noirs, peaux de lait et de pruneaux : tout cohabite en Israël3. Et c’est sans doute là que commence le débat le plus important : si être juif, ainsi que le dit à chaque page la Bible, ainsi que l’a montré pendant des siècles l’histoire, si être juif n’est pas une histoire de gènes, alors deux conclusions s’imposent à lecture de cet essai.

La première conclusion, c’est que les juifs doivent s’affranchir d’un rabbinat dont la conception du judaïsme les conduira à l’extinction démographique plus sûrement qu’Adolf Hitler4. Que les juifs reconstruisent leur Temple et se donnent un grand prêtre, puisqu’ils eurent jadis eux aussi un pape ; qu’ils laissent les libéraux, les réformateurs, et toutes les variantes du judaïsme universel, accueillir ceux qui veulent embrasser la foi d’Abraham ; qu’ils renoncent enfin à la seule (et relativement récente) matrilinéarité (”Est juif qui est né de mère juive”), et qu’ils le fassent soit à la lumière de l’Histoire (qui enseigne que les conversions féminines donnèrent le ton depuis l’empire romain) ou de la Bible (où des tribus entières sont subitement rattachées au peuple de Dieu). Dans cette perspective, la victoire des idées de Sand ne serait pas un désastre pour les juifs, bien plutôt une renaissance sans équivalent depuis les temps prophétiques.

Mais il y a, dans le droit fil de cette première conclusion, une seconde, toute aussi invincible et toute aussi réjouissante : il est impératif que l’Etat d’Israël retire au rabbinat orthodoxe ses pouvoirs délirants – que ces curés de campagne orientaux ne disent plus qui a le droit d’être juif, qui a le droit de se marier, de divorcer, etc., sinon au sein de leur seule obédience. Israël en sortira plus forte, démocratie enfin accomplie, accordant une place plus logique à ses minorités non juives (musulmans, chrétiens, asiatiques). N’est-ce pas, somme toute, ce à quoi aspire déjà une majorité d’Israéliens, qui s’exprime par le cinéma, la littérature et les manifestations monstres ? Shlomo Sand croyait que son essai, d’abord publié en Israël, provoquerait la colère. C’est un best seller. On l’invite partout, on l’interroge, on le discute. C’est ainsi : les juifs n’existent peut-être pas, mais ils prennent leur avenir au sérieux.

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Hypothèse qui rendrait la question des territoires de Judée et de Samarie encore plus insoluble, s’ils s’avéraient peuplés de juifs qui s’ignorent ? Le Moyen-Orient n’est plus à cela près. ↑

Ce que Sand reproche aux sionistes, tout bien pesé, c’est d’être arrivés “un peu tard” en regard des colonialismes turc (Anatolie), arabe (Maghreb) ou anglais (Amérique), lesquels ont été entérinés par l’Histoire. De même fait-il abstraction complète de ce qu’a été et demeure le “régime sioniste”, comparaison faite avec ses voisins arabes ou ses prédécesseurs européens et musulmans. Causeur reviendra sur ce point crucial. ↑

Illustration grandiose de cette schizophrénie : Les Dix Commandements, film que m’impose régulièrement mon premier-né. Les protagonistes hébreux y sont tous des Anglo-saxons bon teint (à commencer par Moïse, qu’incarne Charlton Heston) à l’exception de Ramsès (Pharaon campé par Yul Brynner, circoncis en son huitième jour) et du peuple d’Israël sortant d’Egypte (tous les figurants, ou presque, sont des musulmans). ↑

Lequel Hitler, me faisait remarquer mon ami new-yorkais Ernest Drucker, avait une conception nettement plus “libérale” du judaïsme : un seul grand-parent rendait éligible pour le grand voyage vers les chambres à gaz. On estime ainsi que des centaines de milliers d’êtres humains ont été exterminés dans les camps en tant que juifs, alors qu’ils n’auraient pas été reconnus comme juifs par l’administration cléricale actuelle. ↑

http://www.causeur.fr/les-juifs-existent-ils,1087

mercredi 15 octobre 2008

36 Hours in Paris

36 Hours in Paris


A vintage car parked in front of the restaurant Chez Julien.


By SETH SHERWOOD
Published: October 19, 2008



FROM the mime in white makeup to the Chanel-clad grande dame walking her poodle, Paris practically sags under the tonnage of its stereotypes. The Marais is the welcome exception. Far from central casting, Paris’s most swinging district brims with a vivid mix of characters. Stroll its medieval lanes and you’ll rub shoulders with muscle-shirted gays and feather-boa transvestites; long-bearded rabbis and scruffy rock musicians; West African restaurateurs and Eastern European bakers. And if you turn down the tiny rue de Montmorency, you’ll even be treading in the footsteps of the famous alchemist Nicolas Flamel. His former residence at No. 51 is said to be the oldest house in the Marais — and all of Paris.
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A Weekend in Paris 
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Marais District, Paris 

Friday

5 p.m.
1) HIP-HOP GALLERIES

You can hardly swing a baguette in the Marais these days without smashing a hot-shot art dealer or upstart gallery owner. To discover the neighborhood’s sizzling creative culture, first seek out the eponymous gallery of 40-year-old Emmanuel Perrotin (76, rue de Turenne; 33-1-42-16-79-79; www.galerieperrotin.com). This 17th-century mansion turned expo space is showing, until Jan. 10, the first-ever exhibition by the hip-hop impresario and furniture designer Pharrell Williams. Nearby rue St.-Claude is rapidly filling with contemporary art spaces, notably Galerie Frank Elbaz (7, rue St.-Claude; 33-1-48-87-50-04; www.galeriefrankelbaz.com) and Galerie LHK (6, rue St.-Claude; 33-1-42-74-13-55; www.galerielh.com).

8 p.m.
2) CLASSICAL FRENCH

Founded in 1780, Chez Julien (1, rue Pont-Louis-Philippe; 33-01-42-78-31-64) couldn’t feel more French if the servers sang “Frère Jacques” while serving crème brûlée. But this is no dainty tourist trap. Bought and renovated last year by one of the Costes family, best known for the luxurious Hôtel Costes, the restaurant has exquisite retro-chic décor like plush banquettes and tall mirrors. A stylish crowd of all ages dines on French classics — foie gras, frogs’ legs, rack of lamb and a massive Chateaubriand steak with good crispy fries — but the view is the marquee attraction. From the tree-fringed outdoor seats you can see the Seine, Notre Dame and, just footsteps away, the old St.-Gervais-St.-Protais Church. A three-course meal for two people, without wine, runs about 100 euros ($139 at $1.39 to the euro).

10 p.m.
3) A LOT TO DIGEST

For a digestif, join the assorted intellectuals crowding the classic zinc bar at La Belle Hortense (31, rue Vieille-du-Temple; 33-1-48-04-71-60; www.cafeine.com), a cozy Old World-style wine bar. Straight and gay, leather-bound and tweed-wrapped, the crowd swirls wines by the glass and chats animatedly about highfalutin topics. Even if you don’t know your Derrida from your derrière, no worries: The place is also a bookstore, stacked high with centuries of French and international literature. The back lounge, which has rotating art exhibitions, is the perfect spot to sip some hearty red Guigal Côte du Rhone (4.50 euros) and bone up on everything from Anouilh to Zola.

Saturday

10:30 a.m.
4) ROYAL TUTELAGE

How do you teach your adolescent son about the birds and the bees? If you’re Anne of Austria, mother of Louis XIV, you hire a one-eyed 40-ish noblewoman named Catherine de Beauvais to initiate him into, ahem, adulthood. Her tale is just one of the colorful anecdotes you’ll hear during the Marais tour offered by Paris Walks (33-1-48-09-21-40; www.paris-walks.com). The two-hour excursion (10 euros) includes architecturally splendid old town houses, the memorial to the Shoah and the 17th-century St.-Paul-St.-Louis Church.

1 p.m.
5) A LUNCHTIME ODYSSEY

The oldest covered market in Paris, the Marché des Enfants Rouges (enter on rue Charlot) was established in the early 1600s and remains a center of Marais life. A new structure has replaced the original, but it still houses cheesemongers, vintners and grocers. Better, there’s a bounty of small restaurants that resembles a Benetton ad: Italian, Japanese, French, Afro-Caribbean, Middle Eastern. Traiteur Marocain (33-01-42-77-55-05) ladles out Moroccan fare like fresh grilled sardines (7.50 euros) and lamb-prune-sesame tajine (8.85 euros).

2:30 p.m.
6) POST-STARCK DESIGNS

The nearby streets are home to Paris’s most inventive young creators. Inside the futuristic funhouse called Lieu Commun (5, rue des Filles du Calvaire; 33-1-44-54-08-30; www.lieucommun.fr), you’ll find housewares from Matali Crasset, a protégée of Philippe Starck, as well as electronic music CDs and street wear. At the homey shop OneNineSixOne (135, rue Vieille-du-Temple; 33-1-42-72-50-84; www.oneninesixone.com), Gaëtane Raguet transposes vintage photos of Paris and America onto canvas wall hangings and lampshades. When Christophe Lemaire is not embroidering alligators as artistic director of Lacoste, he sells 1950s-style V-neck sweaters and 1970s-inspired suede jackets at Lemaire (28, rue de Poitou; 33-1-44-78-00-09; www.christophelemaire.com), his personal Marais boutique.

4:30 p.m.
7) F-STOP PIT STOP

Has any city lit up under more flashbulbs than Paris? November brings Le Mois de la Photo à Paris — Paris Photo Month — with scores of exhibitions citywide led by the Maison Européenne de la Photographie (5-7, rue de Fourcy; 33-1-44-78-75-00; www.mep-fr.org). Notable shows include “An Experience of Amusing Chemistry” by the contemporary photographers David McDermott and Peter McGough, which recalls the American Gilded Age using 19th-century techniques. Also being held is a retrospective of the fearless Turkish photojournalist Goksin Sipahioglu, founder of the international photo agency SIPA, who captured landmark events and personalities of the 20th century from the Suez-Sinai War to the 1968 Paris riots. Shows run Nov. 5 to Jan. 25; 6 euros.

9 p.m.
8) SUSHI OR TARTARE?

The wild wall mural at Usagi (58, rue de Saintonge; 33-1-48-87-28-85; www.usagi.fr), with its mix of Japanese manga-inspired figures and French Baroque motifs, is an apt metaphor for the cooking. The brainchild of the artist and fashion designer Shinsuke Kawahara, this new minimalist-cool restaurant has generated a cult following for its clever French-Japanese hybrid cuisine. A tender filet of Salers beef is paired with a sweet miso broth and crispy lotus-root chips. Oven-roasted cubes of chicken are served with a chutney-like mix of sake, ginger and scallions. Desserts are equally inventive. Dinner for two without drinks, about 90 euros.

11 p.m.
9) FAIRE LA FêTE

That’s the French term for partying, and you have ample opportunity to use it in the Marais. The newest hot spot for gay par-ee is NYX (30, rue du Roi-de-Sicile; www.nyxclub.fr). Hidden behind a bakery façade, the small but lively club draws gays and lesbians alike for draft beer (3.80 euros) and D.J.-spun electro, rock and disco. The hot spot for straight revelers is Andy Wahloo (69, rue des Gravilliers; 33-1-42-71-20-38), a vaulted orange-lit room decorated with kitschy Arabic film posters, soda bottles and detergent boxes. It draws a well-dressed crowd who order the house cocktail (rum, banana liqueur, lime, ginger, cinnamon; 9 euros) and dance on North African-style banquettes.

Sunday

11 a.m.
10) TURN THE MEAT AROUND

As you enter the narrow, cobblestone rue des Rosiers, the smell of fresh-baked challah drifts from bakeries, and school kids in yarmulkes pop out of doorways adorned with the Star of David. This is the heart of Jewish Paris. Many Parisians say that the nation’s best shwarma and falafel are served at L’As du Fallafel. Alas, every tourist from every continent seems to be in on the news, resulting in lines more common to Madonna concerts. Instead, cross the street to Mi-Va-Mi (23, rue des Rosiers; 33-1-42-71-53-72), where the lines are shorter, the service is friendlier, and the falafel (5 euros) and spit-grilled shwarma (7 euros) are almost equally good. Ask for some zesty red salade Turque on top and finish with excellent fig strudel (3.20 euros) at nearby Florence Finkelstein (24, rue des Ecouffes; 33-1-48-87-92-85).

1 p.m.
11) VILLAGE PEOPLE

Need some Art Deco lamps, Baroque picture frames, vintage dresses or other French collectibles to bring back to your pied-à-terre? The Village St.-Paul (south of rue de Rivoli on rue St.-Paul; www.village-saint-paul.com) holds scores of boutiques that burst with retro finds. For those hard-to-find antique dolls of apes sporting fezes, try Lima Select (15-17, rue St.-Paul, 33-1-42-77-98-02), an emporium of unusual dolls and figurines. If dressing like a 1910 chorus girl is your thing, snap up some old lace, garters and frilly dresses at Francine (2, rue Ave Maria; 33-1-42-72-44-50). Amid all the colorful personalities of the Marais, you should fit right in. 

THE BASICS

Numerous airlines, includingAir France, Continental and Delta, fly direct between New York and Paris. According to a recent online search, flights for travel next month start at about $700. 

Celluloid titans live eternally at the Hôtel du 7eme Art (20, rue St.-Paul; 33-1-44-54-85-00; www.paris-hotel-7art.com), which is packed with movie memorabilia, some for sale. It’s a tad worn, but the location and price are prime. Doubles from 90 euros. 

You half expect to see mad monks at the Hôtel Saint Merry (78, rue de la Verrerie; 33-1-42-78-14-15; www.hotel-saintmerry.com). Housed in a 17th-century building by a church, it has 12 rooms done in medieval décor: dark wood, exposed beams, raw stone, even the occasional flying buttress. From 160 euros. 

For chic, in-the-know elegance, try the three-apartment complex at 5, rue de Moussy, known by its street address (33-1-44-78-92-00; ask for Patrice). Created by the fashion mogul Azzedine Alaïa, the large, airy apartments contain furniture from iconic designers like Mark Newsom and Jean Prouvé. The rate for two is 450 euros per night.

lundi 13 octobre 2008

Bat Ye'Or - "Pourquoi l'Europe est en danger"

Bat Ye'Or - "Pourquoi l'Europe est en danger"

Contre la dhimmitude, contre Eurabia, une interview de Bat Ye'Or, co-publiée sur Riposte laïque

Radu Stoenescu : Pour le public français qui ne vous connaîtrait pas, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? 


Bat Ye'Or : Je suis une réfugiée juive d'un pays arabe, l'Egypte. Mon père était italien, ma mère française, sa famille a porté l'étoile jaune en France durant l'Occupation. Après les lois fascistes italiennes, mes parents ont demandé la nationalité égyptienne qui fut créée en 1924 avec l'abolition de l'empire ottoman. Je fais partie de ce million de juifs qui ont dû quitter les pays arabes après une série de pogroms et de tueries, dépouillés de leur nationalité et de tous leurs biens. Je suis partie avec ma famille emportant deux valises par personne. Seuls des vêtements étaient autorisés - ils furent publiquement déchirés avant notre départ par des employés à l'aéroport - tout argent et bijou étaient interdits. Déchus de notre nationalité égyptienne, nous avons dû signer un document certifiant que nous renoncions à tous nos biens en Egypte et que nous n'y retournerions jamais. Nous devînmes apatrides et partîmes avec un laissez-passer Nansen délivré par le consulat suisse au Caire. Personne n'a voulu raconter ces événements, excepté les personnes qui en ont souffert, mais les média et les hommes politiques n'ont jamais évoqué les épreuves, bien plus tragiques que celles des Palestiniens, des réfugiés juifs des pays arabes. Les Juifs, en effet, ont subi un régime de terreur dès la seconde guerre mondiale, causé par l'alliance des populations arabes, notamment en Palestine, avec les régimes fascistes et nazis. 

L'exode juif fut suivi d'un exode chrétien, qui fut provoqué par un régime de discriminations et de meurtres, comme on le voit encore dans certains pays musulmans, Soudan, Irak, Egypte. Désormais, après le nettoyage ethnique des juifs, il reste les chrétiens. Je suis le résultat de tout cela, mais je suis également un écrivain, un chercheur, qui a écrit sur la condition des juifs et des chrétiens selon la loi du Jihad et de la Charia dans la civilisation islamique : comment ces lois ont évolué, ce qu'elles ont représenté pour l'ensemble des populations juives et chrétiennes soumises à ce statut particulier que j'ai appelé la dhimmitude. 

RS : Depuis combien d'années travaillez-vous sur ces sujets ? 

BY : J'ai commencé des études d'archéologie à Londres, que j'ai dû interrompre. Mon mari, historien de formation, m'a beaucoup aidé. Je travaille sur ces sujets depuis une trentaine d'années. Mais il est difficile de faire des recherches, parce que la dhimmitude est un nouveau concept, et parce qu'il s'oppose à la politique suivie par les gouvernements européens depuis 1973.

RS : Vous êtes connue justement pour avoir popularisé ce terme de la dhimmitude. Pouvez-vous en donner une définition succincte ? 

BY : J'ai étudié la situation des juifs et des chrétiens parce qu'elle est identique et mentionnée dans d'innombrables documents des pays méditerranéens islamisés. Mais la dhimmitude embrasse en fait l'ensemble des populations d'Asie : zoroastriens, bouddhistes, hindous. La dhimmitude résulte du Jihad et partout où il y a Jihad il y a dhimmitude. La dhimmitude représente la civilisation des populations non musulmanes conquises par le Jihad, guerre impérialiste d'islamisation de leur territoire. Le Jihad donnait aux vaincus le choix entre la conversion, la soumission ou l'esclavage, ou la mort. Les populations qui se soumirent subirent un statut discriminatoire qui tolérait les non musulmans, mais les rejetait dans une condition d'infériorité et d'avilissement dans tous les domaines. Quant aux païens, ils devaient généralement choisir entre l'islam et la mort.

RS : Comme en Inde ? 

BY : C'est cela, mais il y eut quand même des arrangements avec les hindous, puisque tous ne furent pas massacrés. La dhimmitude est prescrite par la Charia - les lois de la dhimmitude sont liées au Jihad, c'est-à-dire à la conquête islamique des territoires non musulmans. C'est cette conquête qui détermine le statut de ces populations. Les juifs et les chrétiens partagent exactement le même statut, mais les autres populations comme les zoroastriens ou les hindous ont un statut différent et inférieur à celui des chrétiens.

RS : On a entendu dire, par Tariq Ramadan par exemple, que la Charia serait une « voie spirituelle ». Est-ce que vous pourriez nous en dire plus sur la nature de la Charia ?

BY : La Charia représente une voie spirituelle pour les musulmans, ça fait partie de leur façon d'être, de penser, de se comporter et de gouverner. C'est le pilier de leur civilisation parce qu'elle instaure un ordre à la fois juridique et religieux. La Charia indique aussi aux musulmans comment vivre conformément à l'enseignement du Coran et du Prophète, ainsi que le comportement qu'un bon musulman doit adopter envers le non musulman. Naturellement, on ne peut généraliser, et en Occident nombre de musulmans refusent de s'y conformer. Beaucoup d'ailleurs ne la connaissent pas, c'est un sujet spécialisé réservé aux juristes et aux théologiens.

RS : Quel est le statut de la Charia par rapport au droit positif, par rapport à une loi politique ? 

BY : La Charia est définie par la religion. Elle édicte les règlements donnés par le Coran et la Sunna, la tradition vivante des paroles et des actes attribués à Mahomet. En islam, il n'y a pas de distinction entre politique, loi civile et religion. La juridiction est liée à la religion. Par exemple en Egypte et dans les autres pays musulmans les lois doivent être conformes à la Charia, c'est-à-dire aux prescriptions du Coran et de la Sunna. Il en est de même des droits de l'homme, d'où la nécessité de promulguer la Charte musulmane des droits de l'homme car la Déclaration universelle des droits de l'homme n'est pas conforme à la Charia fondée sur ces deux sources islamiques, Coran et Sunna. Nous avons ainsi deux types distincts de règlements concernant les droits de l'homme. 

RS : Est-ce que l'on peut dire avec Thomas Hobbes que la Charia est un « droit positif révélé » ? 


BY : On peut dire que la Charia est une droit révélé, dans la mesure où le Coran est une révélation dont chaque mot est attribué à Allah, à la divinité, ce qui n'est pas du tout conforme à l'interprétation de la Bible par les juifs et les chrétiens, qui ne considèrent pas que chaque mot de la Bible est la parole littérale et incréée de Dieu. La Bible est conçue comme un compendium écrit par différents auteurs, à différentes époques, composé de différents livres : historiques, juridiques, prophétiques, liturgiques, poétiques avec des psaumes et des proverbes, et dont l'enseignement, résultant de l'exégèse des textes, peut s'adapter à différentes époques. La conception de la prophétie est d'ailleurs totalement différente dans la Bible et dans le Coran. 

RS : Est-ce que l'on peut identifier ce corpus, la Charia, comme on peut par exemple identifier le Code civil napoléonien ? 

BY : Oui, on peut identifier le corpus de la jurisprudence islamique (fiqh ou droit musulman) Les différentes interprétations de la Charia comprennent les quatre écoles sunnites de droit et la cinquième école qui est chiite. Il n'y a pas de grandes différences entre ces écoles qui se réfèrent aux mêmes sources : Coran et Sunna. Je me permets de vous signaler l'excellent livre de Anne-Marie Delcambre, Soufi ou mufti ? Quel avenir pour l'Islam ? (Editeur Desclée de Brouwer, 2007) qui explique parfaitement les fondements de la Charia et ses interprétations modernes.

RS : Est-ce que l'on pourrait dire que le droit musulman, le fiqh, correspond au droit canon dans l'Eglise catholique ? 

BY : Non, c'est très différent. Le droit canon est fondé sur les écrits des Pères de l'Eglise et les décisions des conciles, or les Pères de l'Eglise ne sont pas considérés comme des personnes ayant reçu une Parole divine infaillible, comme Mahomet. On peut critiquer les Pères de l'Eglise, on peut critiquer Saint Ambroise, on peut critiquer Saint Jérôme, on peut rejeter les décisions des conciles sur la base d'arguments rationnels. Il en est de même du Talmud, corpus des exégèses de rabbins dont l'autorité normative ne provient pas d'une origine divine infaillible, mais comporte l'élément de doutes et d'erreurs, inséparable de la nature humaine. Ce relativisme permet d'assouplir, d'adapter et de renouveler le dogme. Le droit canon a influencé le droit byzantin hérité de Rome, mais il ne l'a pas créé comme la Charia a créé la jurisprudence islamique. Il y a toujours eu un conflit avec l'Eglise qui cherchait bien sûr à influencer le pouvoir politique, mais le pouvoir politique maintenait son autonomie par rapport à l'Eglise. Par contre la Charia institue un droit fondé sur des paroles révélées et incréées qui ne prêtent pas à discussion, et chargées d'une valeur normative exécutoire et obligatoire. Ce sont ces différences dans les conceptions mêmes des révélations biblique et coranique qui ont déterminé les évolutions si différentes, voire opposées, de leur civilisation. Sans parler des contenus fort différents des textes sacrés.

RS : Que pensez-vous du foulard islamique, du voile des femmes ? 

BY : Moi, si j'étais une jeune fille et si je vivais dans un pays musulman, je me couvrirais du voile de la tête aux pieds ne serait-ce que pour me protéger de l'agression masculine. Parce que toute jeune fille, un peu jolie, un peu attirante, est soumise à un tel harcèlement sexuel à chaque moment de son existence dès qu'elle franchit le seuil de sa maison, qu'une vie normale est absolument impossible. On devient obsédée par le harcèlement sexuel que l'on supporte, par les attouchements continuels d'inconnus qui vous bousculent, qui vous touchent, dans les lieux publics, dans les cinémas, dans la rue, surtout dans les transports publics où les gens sont serrés comme des sardines en boîte. Je me place sur le plan pratique de la femme qui veut se protéger de l'agression des mâles.

RS : Quelles sont les raisons de ce harcèlement sexuel dans les pays arabo-musulmans ?

BY : J'ignore pourquoi les hommes dans les pays musulmans sont aussi agressifs envers les femmes. Serait-ce le climat, serait-ce la nourriture ? Ce sont des comportements que l'on retrouve à divers degrés dans les pays du Sud. En Europe, le voile ne se justifie pas, sauf si l'on veut suivre absolument les préceptes de la Charia, car en Europe, ce harcèlement sexuel n'existe pas. Je trouve que le voile ne devrait pas être autorisé dans les lieux publics et surtout pas sur les pièces d'identité. On doit pouvoir montrer son visage, car on ne sait pas qui se cache derrière le voile, ce pourrait être un criminel ou un terroriste. 

RS : Que pensez-vous de la loi française interdisant le voile à l'école ?  

BY : La France est une République laïque, donc l'interdiction du voile à l'école est justifiée. Le voile est une forme de propagande qui devrait être interdite auprès d'enfants à l'école. Je pense aussi que les immigrés musulmans ont choisi d'immigrer en Europe, et que par conséquent il est de leur devoir de respecter les lois des pays d'accueil et non pas d'imposer leurs propres lois.

RS : Est-ce que vous pensez que la laïcité est en danger en Europe ? 

BY : Oui, c'est certain. Avec le multiculturalisme, c'est-à-dire avec l'acceptation des lois islamiques et des codes de comportement islamiques dans l'espace européen, on accepte un principe qui est totalement opposé à la laïcité, puisque la laïcité n'existe pas dans l'islam, pour l'instant, même si la Turquie a essayé de le faire. C'est même totalement interdit par la Charia : en islam, la politique doit être au service de la religion, afin d'étendre la domination de l'islam. Et cela, c'est Ibn Khaldun qui l'a énoncé, un grand juriste et érudit musulman du 14ème siècle.

RS : Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par Eurabia, un autre concept dont vous êtes l'inventrice, et qui fait pendant à celui de dhimmitude ?

BY : Eurabia, c'est la nouvelle culture européenne forgée par l'alliance des dirigeants européens avec les pays de la Ligue Arabe, visant à créer une société multiculturelle méditerranéenne dans laquelle l'islam et le christianisme vivraient en osmose. Cette union de tant de pays constituerait un pôle stratégique qui contesterait la puissance américaine et, bien sûr, supprimerait Israël, car les Arabes exigeaient comme condition essentielle à cette alliance euro-arabe, le soutien européen à Arafat et à l'OLP, et la destruction de l'Etat d'Israël. Eurabia a engendré cette culture de haine anti-israélienne qui, au plan théologique, s'efforce de supprimer les sources juives du christianisme pour en faire une religion sui generis comme à l'époque nazie, car le nazisme aussi voulait déjudaïser l'Eglise. Ce déni des origines conduit au reniement de soi et génère une confusion des valeurs, inexistantes aux Etats-Unis. Cette évolution étant centrée sur la Palestine, puisque l'alliance euro-arabe s'est scellée sur la solidarité européenne avec les Palestiniens et la légitimation de leur guerre contre Israël, on peut définir Eurabia comme la palestinisation de l'Europe. Du reste, la jeunesse européenne arbore fièrement les keffiehs des terroristes palestiniens, symbole du jihad qui la détruira.

RS : En quelque sorte, l'anti-sionisme est devenu l'appellation politiquement correcte de l'antisémitisme ? 

BY : Exactement. Ceci a conduit l'Europe à renier ses racines juives, à élaborer une conception palestinienne de la non judéité de Jésus (opinion maintenant majoritaire dans les Eglises), donc à se séparer de ses fondements bibliques, ce qui rend le christianisme plus vulnérable à son enracinement dans le Coran. D'où le développement du gnosticisme, du marcionisme, théories contraires à la doctrine de l'Eglise mais professées et diffusées en Occident par les Eglises palestiniennes dhimmies. Dans cette fusion islamo-chrétienne sur le cadavre d'Israël, croissent les germes de destruction de l'Europe et du christianisme, et c'est ce à quoi nous assistons en ce moment. 

RS : Que pensez-vous justement de l'Union européenne ?

BY : L'Union Européenne s'efforce tout d'abord d'affaiblir les états-nations, de supprimer les identités nationales afin de construire une union transnationale forte pourvue d'une seule politique commune extérieure qui pourrait parler à égalité avec les grands : l'Amérique, la Russie, la Chine. L'on assiste maintenant à la lutte de l'UE contre les nationalismes locaux, contre les identités culturelles considérées comme des obstacles politiques à l'unification et au multiculturalisme, c'est-à-dire à cette société méditerranéenne islamo-chrétienne. L'Union Européenne cherche également à renforcer les organismes internationaux considérés comme les futurs piliers d'une gouvernance mondiale destinée à diriger l'humanité dans la paix. Dans ce but, elle a développé des réseaux liés à ces organisations telles que l'ONU, l'Organisation de la Conférence Islamique (OCI), la Ligue Arabe, la Ligue Musulmane parmi d'autres. Or les organisations internationales comme les Nations Unies par exemple, sont fortement influencées par l'OCI qui regroupe 57 états musulmans. L'Europe est donc à son insu dominée par la politique de l'OCI qui influence ses réseaux, comme par exemple l'Alliance des Civilisations qui adhère à une vision islamique de l'histoire et des conflits, et préconise des solutions conformes au point de vue musulman. Certaines sont déjà appliquées à l'insu des européens comme les restrictions à la liberté d'expression, l'adoption d'un lexique respectueux des sensibilités musulmanes, l'acceptation de tribunaux charia, les accusations d'islamophobie et le laxisme en matière d'immigration. En fait, l'Europe a créé toutes les conditions nécessaires pour l'émergence d'un Califat mondial en travaillant à créer les instruments d'une gouvernance internationale d'où les conceptions occidentales seront éliminées.

RS : Est-ce qu'il existe pour vous une différence entre islam et islamisme ? 

BY : Non, pas vraiment. Il y a certes des musulmans non violents, mais il est admis que tous les musulmans n'ont pas besoin d'aller à la guerre et qu'ils peuvent y contribuer avec de l'argent ou la propagande. Et c'est ce que l'on voit chez de nombreux musulmans d'Europe qui envoient beaucoup d'argent aux mouvements jihadistes. Mais il y a aussi des musulmans qui ont une conception moderniste et hétérodoxe de leur religion et qui adhèrent aux idées modernes et aux valeurs occidentales et qui sont parfaitement intégrés dans la société. On ne doit pas minimiser cette tranche importante de la population qui vit coincée entre les menaces des islamistes et la méfiance des Occidentaux.

RS : Que pensez vous que nous pourrions faire pour arrêter l'islamisation de l'Europe ? 

BY : Il faut d'abord prendre conscience de ce problème, puis il faut vouloir s'y opposer, ce que tout le monde ne souhaite pas, car bien des personnes désirent cette islamisation. Si ce n'était pas une politique voulue, elle ne se serait pas réalisée. 

RS : Quelles sont les mesures politiques qu'il faudrait prendre ? 

BY : Il faudrait tout d'abord arrêter l'immigration, et pas seulement pour préserver nos libertés, mais aussi pour des raisons économiques, car nous allons vers une récession et que nos sociétés ne peuvent fournir du travail à des masses de migrants. Ensuite, il faudrait demander aux européens s'ils considèrent que leur pays est un territoire ouvert à la colonisation. Si ce n'est pas le cas, il faut mettre un frein à l'immigration et exiger l'intégration. Ensuite, il faudrait leur demander s'ils veulent maintenir l'Etat de droit, la démocratie, le droit à la sécurité de la personne et aux libertés constitutionnelles aujourd'hui bafouées par le terrorisme et les fatwa, qui menacent aussi les musulmans. Puisqu'on est encore en démocratie, les réponses détermineront les politiques dans le respect du droit humanitaire. 

RS : Si je vous comprends bien, ce qu'il faudrait faire, c'est arrêter l'immigration et prendre des mesures fortes pour valoriser l'identité européenne ? 

BY : La valorisation de l'identité européenne est un autre élément. La perception de cette identité est confuse, nos leaders affirment que l'islam fait partie de notre identité et que notre culture provient de l'islam. On ne peut lutter contre l'islamisation si nous sommes déjà nous-mêmes spirituellement musulmans. On ne peut se valoriser si l'on ignore qui l'on est. Dans la dhimmitude on ne valorise que l'islam, pas le dhimmi qui est toujours inférieur. Si comme l'affirment nos leaders, notre culture, nos arts, notre science et notre civilisation viennent de l'islam, il n'y a plus rien à valoriser.  

La culpabilisation des Européens s'intègre dans les relations de dhimmitude, c'est-à-dire d'infériorité, que l'Europe a accepté d'établir avec les pays musulmans. L'UE a lancé une campagne culpabilisant les Européens, parce que les 57 pays de l'OCI ont réclamé que l'islamophobie soit combattue par des mesures légales, tant au niveau local qu'au niveau international, c'est-à-dire au niveau de l'ONU, et que la persistance de l'islamophobie pourrait avoir sur le plan de la sécurité de graves conséquences. C'est pourquoi les gouvernements de l'Union européenne ont décidé que nous étions islamophobes, que les mouvements nationalistes ou d'identité culturelle étaient racistes, xénophobes, etc. Ils ont adopté une politique visant à nous guérir de « notre racisme » et l'on voit des spots à la télévision dans ce sens. 

RS : Quelles sont les menaces que les pays de l'OCI font planer sur l'Europe pour que celle-ci fasse cette campagne de culpabilisation à l'islamophobie ? 

BY : Les pays de l'OCI n'enverront pas d'armées, mais les réactions de violence causées par les fameuses caricatures, et les attentats terroristes à Londres, à Madrid, en Hollande, témoignent des possibilités de représailles. En Angleterre, on vient d'arrêter des terroristes opposés à la publication d'un livre sur l'une des épouses de Mahomet. Je reconnais que certains écrits sont irrévérencieux, blessant pour un croyant, mais la satire et la critique constituent un élément essentiel de la culture européenne. On ne sait comment maîtriser le terrorisme, puisqu'on assiste à un terrorisme européen local, issu de la deuxième génération. Subissant la menace terroriste, on est bien obligé de s'en protéger par des mesures de sécurité anti-terroristes. Or les pays de l'OCI considèrent ces mesures de sécurité anti-terroristes comme une agression contre les droits de l'homme musulman. Ils demandent à nos gouvernements de suspendre ou d'alléger ces mesures, de ne plus surveiller les mosquées et le contenu de leur enseignement et des prêches, et de supprimer les restrictions concernant l'asile et l'immigration. Ils considèrent que les restrictions à l'immigration, les demandes d'intégration, le refus du multiculturalisme et les mouvements européens d'identité nationale et culturelle sont islamophobes.

http://www.surlering.com/article.php/id/5247

mardi 7 octobre 2008

Keeping the Faith

Questions for Edgar M. Bronfman Sr.

Keeping the Faith


As the former head of Seagram and a billionaire philanthropist who has spent much of his fortune battling anti-Semitism worldwide, you have just written a book, “Hope, Not Fear,” that argues for a kind of neo-Judaism that loosens up the rules of observance, welcomes converts and has nothing to do with synagogue. I don’t know that I would call it neo-Judaism. The Jewish part will remain, but it’s our attitude that has to change. Instead of shunning people who marry out, we need to welcome them. I think that if we want to grow Judaism, we have to accept interfaith marriage for what it is.

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Christian Oth for The New York Times

Edgar M. Bronfman Sr.


Do you think you favor inclusiveness because you yourself have seven children — and their spouses of various faiths — from how many marriages? Two.

I thought it was more. Well, I’ve had three wives. I’ve had five weddings.

In your book, you seek to define Judaism as something besides religious belief. I don’t believe in the God of the Old Testament, but I am happy with my Judaism, without that.

If you take the spiritual element out of Judaism, what is left? Some would say the rest is just archaeology, bones in the desert. That’s their problem; that’s not my problem. What we have left is our ethics, our morals. It was our people who developed the Ten Commandments, and civilizations all over the world are based on the Ten Commandments. Whoever wrote that — and we assume it was Moses — had a great deal of wisdom.

But every religion has an ethical system. Well, they do now. But we were the first.

Why is it important to you that Judaism continues? There are things we have to do. For instance, Darfur, Cambodia, Rwanda. There have been holocausts since our Holocaust. We should be the first people to stand up and say this is unacceptable, but we don’t. We say, “Never again,” just for us. We have to say, No, it’s for everyone, this “Never again.”

Are you a Democrat? That depends on who the Republican candidate is. I’m a Democrat now. I’d vote for Mickey Mouse before I voted for John McCain and Sarah Palin.

Why do you give your money to Jewish causes instead of broader social causes? There are not that many of us in the Jewish world who understand that we are in crisis. We are not in crisis because of anti-Semitism; we are in crisis because we are disappearing through assimilation.

How do you know that anti-Semitism is no longer a threat? I think the greatest evidence of that is when Al Gore lost but didn’t lose the election in 2000, nobody blamed it on Joe Lieberman because Joe was a Jew. Nobody. I never heard that.

As a kid growing up in Montreal in the ’30s and ’40s, were you observant? No. When I was supposed to go to synagogue on Saturdays, my father went to the office. What made him think I was going to go to synagogue if he went to the office? The hell with that.

I see that Forbes magazine just listed you as the 105th-wealthiest person in this country, with an estimated worth of $3.5 billion. Is that right? I don’t look, and I don’t comment.

But is that figure correct? I haven’t added it up.

Did you lose a lot of money in the Wall Street meltdown last month? I don’t know. I don’t watch it on a day-to-day basis.

Do you get upset when you lose large sums of money overnight? I get over it very quickly.

You don’t get ulcers? My father put it right when he said: I don’t get ulcers. I give ulcers.

At 79, do you drink whiskey or other Seagram products? Once a week. Friday, before dinner. I like Chivas Regal.

What are you praying for in 5769, the year that just began on the Jewish calendar? To be able to keep doing what I’m doing! At my advanced age, I think that’s enough.

INTERVIEW CONDUCTED, CONDENSED AND EDITED BY DEBORAH SOLOMON