De notre correspondant à Jérusalem, Patrick Saint-Paul
07/05/2008 | Mise à jour : 17:56
Shimon Pérès déplore qu'Israël ne connaisse pas ses frontières définitives. Crédits photo : Le Figaro
Le président d'Israël a raconté au Figaro comment il avait vécu la naissance de l'Etat hébreu en 1948. » DOSSIER SPECIAL - Israël, 60 ans d'histoire
Dernier des pères fondateurs de l'État hébreu encore en fonction, le président Shimon Pérès voulait bâtir Israël avec ses mains. En 1934, Pérès est âgé de onze ans lorsqu'il émigre de Pologne avec ses parents, pour débarquer sur les côtes de la Palestine du mandat britannique. Sioniste convaincu dès l'adolescence, il fait des études d'agriculture afin de cultiver la terre promise. Son rêve de construire un pays qui ressemblerait à un «kibboutz géant» ne s'est pas matérialisé. Cependant, il avoue avec enthousiasme que, soixante ans après sa fondation, Israël a surpassé tout ce qu'il avait pu imaginer.
«Les Juifs étaient un peuple sans terre, explique Shimon Pérès au Figaro. Il y avait une anomalie. L'idée des sionistes était de retourner dans notre pays d'origine, afin de retrouver notre terre, pour la travailler de nos propres mains. Lorsque j'étais garçon, je rêvais d'être berger ou poète. J'ai rêvé que notre pays en devenir serait poussé en avant par l'agriculture. Et j'ai donc fréquenté un collège agricole.» C'est là que le jeune Shimon s'initie à la politique en participant à des débats sur l'avenir du pays, dont la naissance ne faisait aucun doute dans son esprit. Fallait-il se battre pour le modèle soviétique ou la démocratie ? Fallait-il se battre pour préserver l'identité juive ou pour garder la terre à n'importe quel prix ?
Lorsqu'il rejoint le mouvement des jeunesses travaillistes, Pérès découvre que ses idées sont minoritaires. «Nous étions deux sur sept à vouloir la démocratie et à être prêts à partager la terre pour sauvegarder notre identité, se souvient-il. C'est pourquoi j'ai décidé de devenir un leader étudiant.» En 1944, il rejoint le kibboutz Haloumi, dont il est le secrétaire et où il assouvit ses ambitions en devenant berger et producteur de lait. Un an avant l'indépendance, il s'engage dans la Haganah, l'armée clandestine juive, qui deviendra en 1948 la colonne vertébrale de Tsahal.
La rencontre avec son héros, David Ben Gourion, marque un tournant dans sa vie. «Je me suis retrouvé par hasard à ses côtés en voiture, pour l'accompagner de Tel-Aviv à Haïfa, explique Pérès. Jamais je n'aurais osé rêver passer deux heures en tête à tête avec cet homme que j'admirais. Mais, plongé dans ses pensées, Ben Gourion n'a pas décroché un mot jusqu'à ce que nous entrions dans Haïfa. Alors il m'a dit : “Tu sais, Trotski n'est pas un grand dirigeant.” J'ai demandé pourquoi. Il m'a répondu : “Ou tu prends le risque de faire la guerre, ou tu fais la paix et tu es prêt à en assumer le prix. Trotski n'a pas été capable de choisir”.»
« Mon intuition m'a poussé vers la France»
Pérès se demande encore comment Léon Trotski est monté en voiture avec lui et Ben Gourion. Mais ces quelques minutes de conversation lui suffisent pour faire impression sur son mentor, qui le prend sous son aile. Ben Gourion le nomme chef des «ressources matérielles et humaines» de la Haganah. L'approvisionnement en armes sera sa principale mission.
Alors que les armées arabes menacent, il est envoyé à Paris. «Les Britanniques et les Américains nous imposaient un embargo sur les armes, dit Pérès. Je savais très peu de chose sur la France et pas un mot de français. Mais mon intuition et mon enthousiasme m'ont poussé vers la France, pour chercher de l'aide. Personne n'y croyait vraiment, cependant Ben Gourion m'y a envoyé en désespoir de cause.»
La connexion française s'avère payante. Non seulement Pérès obtient les armes nécessaires à la survie du jeune pays mais il réussira aussi par la suite à se faire livrer des Mirage III et la première centrale nucléaire de Dimona, clé de voûte de la dissuasion israélienne. «Notre rêve d'installer un foyer pour notre peuple s'est accompli, mais nous n'avons peut-être pas porté assez d'attention aux rêves des autres, reconnaît Pérès. Nous avons été sanctionnés pour cela. En soixante ans, nous avons dû nous battre sept fois pour notre existence. Notre rêve était d'exister et non d'avoir à nous battre pour cela en permanence.»
Les attentats du groupe Stern et de l'Irgoun contre la puissance britannique, les exactions contre les Palestiniens, les villages arabes rasés… Pérès ne regrette aucune de ces actions, qui font selon lui partie de la lutte pour fonder l'État hébreu. Il se félicite qu'Israël ait su s'adapter dans l'adversité. «Je n'aurais pas cru qu'en soixante ans, nous puissions atteindre 5 ou 6 millions de Juifs, confie-t-il. Ni que les Juifs viendraient du Yémen, de Russie et d'autres pays, notamment arabes. Nous nous sommes multipliés par dix. C'est mieux que ce dont j'avais rêvé.»
«Au lieu de cultiver la terre, nous cultivons le high-tech»
Tout comme il se félicite du rôle joué par le kibboutz, qui, selon lui, a contribué par ses valeurs de solidarité à «fonder une société hautement morale». «Nous espérions que tout le pays serait un seul et grand kibboutz, affirme Pérès. Cela ne s'est pas produit. Cependant, le kibboutz est devenu un pôle d'excellence. Les habitants des kibboutz sont sept fois plus productifs que le reste de la nation. Ils sont moins de 2 % de la population et ont fourni 20 % des pilotes de l'armée de l'air. Nous n'avions pas imaginé que la science pourrait remplacer l'agriculture. Et qu'au lieu de cultiver la terre, nous cultiverions le high-tech. De la même façon que nous avons produit des miracles dans le domaine de l'agriculture, nous faisons preuve d'un grand talent pour mettre en œuvre l'alternative que sont les nouvelles technologies.»
Pérès déplore qu'Israël ne connaisse toujours pas ses frontières définitives. «C'est un gros problème, admet-il. Mais nous avons déjà des frontières avec l'Égypte, la Jordanie, avec le Liban et avec la mer. Maintenant, il ne nous manque plus que les Palestiniens et la Syrie.» Il s'inquiète de l'influence grandissante des religieux, qui grâce au système électoral à la proportionnelle sont capables d'imposer leurs vues au gouvernement. «Je voudrais que les religieux se fondent dans tous les partis politiques, dit-il. Le fait que nous ayons des partis religieux affaiblit notre système. Cependant, la force de notre pays a toujours été d'avoir su surmonter les échecs du système, pour continuer d'avancer.»
vendredi 1 août 2008
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