mise en ligne : vendredi 4 avril 2003
Par Alain Frachon - Le Monde - 27 mars 2003
"Le sionisme est un mouvement de libération nationale".
Sous le parrainage de l’Union des étudiants juifs de France, Alexandre Adler, Elie Barnavi, Paul Bernard, Denis Charbit, Adil Jazouli, Patrick Klugman, Bernard-Henri Lévy, Jacques Tarnero expliquent le sionisme (Le Sionisme expliqué à nos potes, éd. de La Martinière, 260 p., 15 €). Ils racontent les origines, relatent comment l’expression en est venue à être négativement connotée, s’entretiennent avec ceux qui ne la comprennent pas. Les auteurs sont convaincus que l’ignorance est, là comme ailleurs, source de drames et empêche d’ouvrir le débat sur le conflit israélo-palestinien. Elie Barnavi s’en explique.
"Ce livre est un pari. Il s’inscrit dans un débat franco-français. C’est un pari sur la connaissance de l’autre comme élément de civilisation politique, comme élément de modération, comme incitation à l’écoute. Le constat amer que l’on peut dresser est que, derrière l’hostilité à Israël, derrière l’hostilité au sionisme, il y a une ignorance. C’est pour cela que le mot claque, aujourd’hui, comme une insulte.
Quand et comment naît l’idéologie sioniste ? Et à partir de quelle date va-t-elle commencer à être négativement connotée ?
C’est une idéologie moderne qui est née dans le contexte du mouvement des nationalités européennes. Mais à un moment où ce mouvement connaît sa phase extrême, dure, antilibérale, dans les années 1880. Il y a dans cette phase du nationalisme rejet de tout ce qui n’est pas la nation de sang : cela se manifeste par des pogromes. Les promoteurs du sionisme dressent un constat d’échec : les juifs ne peuvent pas s’intégrer dans l’Europe telle qu’elle est en train de se faire. Ces hommes-là sont des libéraux, des émancipateurs, des gens qui ont parié dès le début sur l’intégration des juifs dans la société ambiante. Le constat de l’impossibilité de cette intégration les fait opter pour la solution nationale. Donc, ils élaborent une théorie qui est calquée sur les mouvements de libération nationale et euro ! péens du XIXe siècle : puisque le monde est ce qu’il est, puisqu’il se décline en Etats-nations, on ne peut pas y échapper, il faut bien que les juifs, pour exister tout simplement, aient un Etat-nation. Voilà la logique fondamentale du sionisme.
Très minoritaire au départ.
Le mouvement est d’abord minoritaire. Il le sera de moins en moins au fur et à mesure que les nuages vont s’amonceler sur le judaïsme européen, pour ne devenir vraiment l’idéologie dominante au sein du peuple juif qu’après la Shoah. Je dirais que si le sionisme est né avant la Shoah, c’est la Shoah qui en permet la réalisation. La Shoah démontre par l’absurde, par le malheur absolu, la justesse des thèses des premiers sionistes qui prévoient quelque chose de ce genre. Lorsque cela arrive, lorsque cette chose innommable se produit, à ce moment-là il n’y a plus de débat possible. Pas parce que la pratique a prouvé la théorie, mais simplement parce qu’il n’y a plus rien d’autre à faire que ça, étant donné que - et cela, c’est également un aspect que l’on oublie trop souvent - pour les survivants de la Shoah, ce n’es ! t pas un choix idéologique, c’est le seul choix possible. Un juif français peut rentrer chez lui. Mais un juif polonais, un juif roumain, un juif hongrois ne peut pas retourner chez lui ; ceux qui retournent se font "pogromiser" après la Shoah. La preuve est faite qu’il n’y a pas autre chose à faire que de créer cet Etat-là. Pour ceux qui restent ailleurs, le sionisme est quand même central parce que c’est une espèce de police d’assurance pour demain. Et c’est depuis lors que le sionisme est devenu l’idéologie fondamentale du peuple juif.
Après la seconde guerre mondiale, l’ONU va légaliser le projet sioniste. Et jusqu’au début des années 1970, le mot "sioniste" n’est pas connoté négativement.
Non, au contraire. Il y a toute la part de romantisme d’un peuple qui revient après des siècles d’errance, toute la mythologie socialiste, les kibboutz, tout cela, et puis, bien sûr, il y a la culpabilité européenne et américaine. Donc, c’est vrai que le sionisme passe pour un mouvement de libération, ce qu’il est d’ailleurs. Et il est, positivement connoté. Tout commence à basculer en 1967. A cette date prend fin ce que j’ai pu appeler avec d’autres le " moratoire d’Auschwitz ". L’ampleur de la victoire remportée en juin 1967 sur les armées arabes et l’occupation des territoires palestiniens font passer assez rapidement l’Etat d’Israël de l’état de victime potentielle à celui d’occupant - et l’on ignore complètement, on occulte, par quel concours de circonstances nous nous sommes retrouvés occupants...
Le discours commence à changer sur les campus. Les premières forteresses que nous perdons, ce sont les campus universitaires en Occident. Jouant sur la rivalité des blocs et l’émergence du tiers-monde, les Palestiniens deviennent le héros et la nation emblématiques des peuples en lutte. C’est ainsi que nous devenons, nous, en face, l’occupant emblématique, une espèce de principe du Mal colonialiste ; un accident de l’Histoire, mauvais en soi, et plus vite cette parenthèse sera fermée, mieux le monde se portera.
Une bataille sémantique, de "sens", est alors perdue.
Si je devais résumer d’une phrase la démarche du livre, ce serait de dire à ceux qui ne nous aiment pas, mais qui sont prêts à nous écouter : voilà ce qu’a été, ce qu’est le sionisme. Mouvement national d’un peuple dont il serait à la fois vain et immoral de nier la qualité de peuple, et qui a donné lieu, qui a fondé un Etat, dont les agissements sont critiquables comme ceux de tout Etat, et qui peuvent être légitimement critiqués. Mais ne franchissez jamais la ligne rouge entre la critique légitime des agissements d’un gouvernement quel qu’il soit et les fondements moraux et idéologiques de cet Etat. Vous trouverez dans plusieurs articles une tentative de cerner le problème par tous les côtés imaginables, pour dire : "Voilà ce qu’est le sionisme, ce qu’on vous raconte est du fantasme, voici la vérité histori ! que. A partir de ce moment-là, parlons de ce que l’on peut faire ensemble"."
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