mardi 15 avril 2008

Faut-il sauver le point-virgule?

Depuis quelques jours, il fait parler de lui. Pas encore en ouverture du JT, non, mais la récente interview de l'une des responsables de BibliObs, coauteur de «l'Art de la ponctuation», par le
site Rue89, semble avoir (enfin) réveillé les consciences: sur France Inter, jeudi 26 au micro de Caroline Cartier, Sylvie Prioul a désespérément cherché des points-virgules dans les pages du «Nouvel Observateur», pour en trouver finalement dans la lettre adressée aux lecteurs par Denis Olivennes - qui prendra début mai ses fonctions de président du directoire de l'Obs.

Tout n'est donc pas perdu, l'honneur est sauf, mais la situation demeure préoccupante; c'est ce qu'ont pu constater les auditeurs de TSF en écoutant, le 25 mars, Laurent Sapir s'entretenir avec Olivier Houdart, l'autre auteur de «l'Art de la ponctuation», tandis que le sujet était au menu des infos de 18h sur cette antenne.

Reste une énigme, posée par le titre de l'article publié sur Rue89: «Un appel du mouvement contre la disparition du point-virgule». Titre étrange en effet, qui semble émaner d'un «comité de défense» jadis en activité, mais aujourd'hui disparu de la Toile. Ce «mouvement» existerait-il encore quelque part? Un mouvement clandestin alors, que les RG feraient bien de surveiller un peu, avant que les activistes du point-virgule ne se décident à envahir l'Académie, ou à saccager les imprimeries qui éditent les ouvrages dépourvus de ce signe... Jean d'Ormesson pris en otage, à cause d'une virgule surmontée d'un point, voilà qui ferait désordre dans le pays.

Mieux vaut donc œuvrer rapidement à la réintroduction de cette espèce menacé. Et pour ne pas voir, un beau matin, journaux et livres sans le moindre point-virgule, BibliObs verse cette nouvelle pièce au dossier: des extraits du chapitre qui lui est consacré dans «l'Art de la ponctuation», d'Olivier Houdart et Sylvie Prioul (que, décidément, on soupçonne fort d'être sympathisants du mystérieux «mouvement»).



Le point-virgule : La lanterne rouge



S'il existait un Top 10 de la ponctuation selon la fréquence de chaque signe dans les imprimés, le point-virgule arriverait, et de loin, en queue du peloton. La presse le délaisse : dans le numéro du 22 décembre 2005 de L'Humanité par exemple, nous n'en avons, à notre grande surprise, trouvé qu'un seul (réfugié dans l'éditorial), alors que tous les autres signes y sont largement représentés. Force est de constater qu'il n'a pas le vent en poupe et fait partie, comme l'imparfait du subjonctif ou le passé simple, des finesses menacées par l'appauvrissement de l'expression écrite.

Claude Duneton écrivait dans Le Figaro en septembre 2003 un plaidoyer en sa faveur : « Le point-virgule mal aimé des écrivants, abandonné par les écrivains, est en voie de disparition : protégeons-le... » Et il citait les attaques de Cavanna contre ce « signe infortuné » : l'auteur des Ritals le traitant de « parasite timoré » qui traduit « le flou de la pensée, et colle aux dents du lecteur comme un caramel trop mou » ( message transmis à Hugo, à Maupassant ou à Flaubert, grands utilisateurs de ce signe et donc penseurs un peu « flous »). Pour être moins virulent, l'adjectif « vieillot » qu'on lui accole facilement, le range dans les signes du passé... et dépassés.

Chronique d'une mort annoncée ? Le point-virgule va-t-il, sous les coups de ses détracteurs et, surtout, faute d'utilisateurs, passer le seuil critique en deçà duquel il sera condamné ?

Il n'est pourtant réservé ni aux « intellos » ni aux passéistes ; c'est même l'inverse d'un signe élitiste puisqu'il clarifie l'organisation de la phrase. Aucune raison donc de le délaisser : notre mission (nous l'avons acceptée) se veut « désinhibitrice », car la sous-utilisation du point-virgule semble en partie due à l'appréhension qu'il suscite.


Il faut sauver le soldat Point-Virgule

Signe hybride — ni tout à fait point ni tout à fait virgule —, cette « virgule ponctuée », comme l'appelle au XVIIIe siècle le grammairien Girard, est un signe de l'entre-deux. Autrefois ponctuation forte (puisqu'il a été l'équivalent de notre actuel point final jusqu'à la fin du Moyen Age), il a été rétrogradé (pour filer la métaphore militaire).

Le point-virgule assume deux grandes fonctions : tout d'abord, sorte de point atténué, il s'interpose entre des propositions bien distinctes que l'auteur maintient ainsi liées au sein d'un même phrase. Ensuite, il joue le rôle d'une « super-virgule », aidant le lecteur à repérer les grandes articulations d'une phrase longue où abondent déjà les virgules.


Plus point que virgule

Séparation et mise en relation caractérisent le point-virgule dans sa première définition. Par sa présence, l'auteur manifeste sa volonté de cimenter entre elles les différentes propositions (qu'elles se complètent, s'opposent, soient mises en parallèle...).

[...]

Plus virgule que point

« Doublure » de la virgule forte, celle qui sépare des propositions, le point-virgule est destiné à éviter au lecteur de s'égarer dans la phrase labyrinthique, où abondent déjà les virgules faibles.

[...]


Il existe sur le Net* un Comité de défense et d'illustration du point-virgule, dont les membres s'engagent à « chanter ses louanges en toute occasion » et à l'utiliser « chaque fois que ce sera approprié ». Serment digne de celui des Horaces ! Sans faire partie de la confrérie, nous agissons dans l'ombre, rajoutant ces points-virgules décriés avec le sentiment d'accomplir un — petit — acte de résistance. Auquel s'ajoute, si le point-virgule se substitue à un point, le plaisir de rallonger la phrase, qui a ces temps-ci tendance à rétrécir.

[*Ce Comité a aujourd'hui disparu de la Toile.]



En bref

LE POINT-VIRGULE

• Sépare des phrases complètes liées logiquement.

• Joue le rôle d'une « super-virgule » dans la phrase longue, séparant des propositions déjà subdivisées par des virgules.

• Sépare les termes d'une énumération scientifique ou technique.

• Est précédée d'une espace fine et suivi d'une espace forte.


© Seuil. Olivier Houdart et Sylvie Prioul

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