vendredi 3 octobre 2008

Haïr les juifs, de Voltaire à Ben Laden ?

Haïr les juifs, de Voltaire à Ben Laden ?

______________________________ Pierre-André Taguieff ______________________________


Directeur de recherche au CNRS, membre du comité de rédaction du Meilleur des Mondes


Dans un entretien paru dans "Le Point", notre ami le philosophe Pierre-André Taguieff se confie à l'occasion de la parution de son dernier ouvrage monumental intitulé « La Judéophobie des Modernes. Des Lumières au Jihad mondial » (Odile Jacob). "La haine des juifs prolifère partout et les plus atteints ne sont pas les moins «progressistes», confirme t-il . Une terrible analyse des métamorphoses et des méfaits d'une maladie que rien ne semble pouvoir éradiquer.



Ce livre est l'une des premières analyses en profondeur de l'antijudaïsme islamique, qu'il replace dans l'histoire plus que sinueuse de la haine des juifs. Mais pourquoi parler de « judéophobie » et non d'« antijudaïsme » ou d'«antisémitisme » ?

Pierre-André Taguieff : Le terme « judéophobie » désigne pour moi l'ensemble des formes historiques prises par la haine des juifs, alors qu'« antijudaïsme » suggère que cette haine a des origines exclusivement religieuses. Quant à « antisémitisme », c'est un terme récent, forgé en 1879 par l'idéologue raciste Wilhelm Marr pour distinguer son combat antijuif du vieil antijudaïsme chrétien. Il donne un sens racial au mot sémite, qui désigne en fait un ensemble de langues (hébreu, arabe...). Stricto sensu, l'antisémitisme représente la variété raciste de la judéophobie moderne et présuppose l'opposition « aryens-sémites », reprise par les nazis. Aujourd'hui, il relève d'un phénomène de survivance.

Si la haine du juif ne se résume plus à l'antisémitisme, quelle est-elle ?

C'est en 1979 qu'a lieu la révolution khomeyniste en Iran, suivie par le lancement du jihad contre l'occupation soviétique en Afghanistan : deux événements qui déplacent le centre de gravité des conflits mondiaux et marquent la sortie de la période postnazie, ouverte par Nuremberg. Fin d'une longue après-guerre et entrée dans une nouvelle avant-guerre, où les juifs sont redevenus une cible. Mais-et c'est aussi ce qui m'a motivé à écrire ce livre-s'est opéré depuis la guerre des Six-Jours un basculement progressif de la gauche, et surtout de l'extrême gauche, vers des positions antisionistes radicales appelant à la destruction de l'Etat d'Israël : ce sont elles qui ont rendu possible l'apparition dans l'espace public, entre 1978 et 1980, du phénomène négationniste, qui inaugure l'entrée dans un nouveau régime de judéophobie.


La judéophobie moderne serait-elle devenue une nouvelle croisade ?
Apparaît effectivement un phénomène nouveau : la guerre déclarée aux « judéo-croisés » sur la base fantasmatique d'un « complot américano-sioniste » contre l'islam et les musulmans. Cette désignation du « judéo-croisé » en tant qu'ennemi absolu met en évidence une transformation décisive de l'image des juifs. Mais son champ de diffusion ne se réduit pas à l'islamisme : il ne cesse de s'élargir par les effets conjugués de la contestation altermondialiste et d'un tiers-mondisme centré sur un antiaméricanisme diabolisateur. L'islamisation de la cause palestinienne et de la lutte antisioniste, dont témoigne la création du Hamas à la fin des années 80, s'est intégrée dans la vision d'un combat mondial contre les juifs et les « croisés ».

En quoi cette transformation affecte-t-elle l'image des juifs et celle d'Israël ?

Durant ces quarante dernières années, l'image négative des juifs a subi une double métamorphose. Longtemps stigmatisés en Occident comme Asiatiques ou sémites, les juifs sont désormais dénoncés et rejetés en tant qu'Occidentaux, oppresseurs et impérialistes. Mais ensuite, alors qu'on leur reprochait, au XIXe siècle notamment, d'être des nomades, ils sont devenus des sionistes, des nationalistes. De menace universelle pour toute nation, le peuple juif est devenu la nation menaçant la paix universelle. Dans le nouveau discours judéophobe, sioniste et Israël fonctionnent comme les noms du diable. Il ne s'agit plus de chasser les juifs des pays européens, mais d'éliminer cette « anomalie » qu'est l'Etat d'Israël, incarnation du Mal.

Mais la haine antijuive de l'islam radical ne se limite pas à l'antisionisme...

Non, dans le discours jihadiste, les thèmes nationalistes du type « Les juifs occupent une terre arabe » sont remplacés par l'argument religieux selon lequel les « terres d'islam » ne doivent pas être souillées par la présence de non-musulmans. Le combat antijuif des islamistes radicaux se réfère d'abord à une vision sacralisante de la oumma, la communauté musulmane.

Comment expliquer pourtant que la judéophobie touche tout le monde, même Voltaire, champion de la tolérance ?

A chaque époque son pourquoi. C'est au XVIIIe siècle que commence à se former un récit antijuif sécularisé, censé être fondé sur la science. L'antijudaïsme radical d'un Voltaire est indissociable de son combat contre le christianisme, ce rejeton du judaïsme. Plus tard, Marx ou Proudhon, Bakounine ou Wagner expriment leur anticapitalisme avec plus de force polémique dans un antijudaïsme revisité, où Shylock prend le visage des Rothschild. Pour les nationalistes de la fin du XIXe siècle, le juif est un principe de « décomposition » du corps des nations. Au XXe siècle, c'est sur la figure inquiétante des conspirateurs juifs ou judéo-maçons, les Sages de Sion, que se sont fixées les peurs provoquées par la modernité. Aujourd'hui, la grande idéologie transversale est l'anti-impérialisme, dont les variantes apparues au cours du XXe siècle constituent toujours des mythes mobilisateurs, susceptibles de se combiner entre eux : marxisme-léninisme, nationalisme (d'extrême gauche et d'extrême droite), tiers-mondisme et islamisme. Vous remarquerez que ceux qui, aujourd'hui, se disent révolutionnaires associent souvent antiaméricanisme et antisionisme radical. Ils prétendent parler et agir au nom des dominés, et bien sûr contre l'impérialisme, incarné par l'« hyperpuissance », les Etats-Unis, et par l'« entité sioniste ». C'est même là l'unique moyen de définir la posture révolutionnaire après la faillite du communisme.

La haine antijuive de Dieudonné ne relève-t-elle pas plutôt de la pathologie ?

Nombre d'humoristes incarnent le type du démagogue anti-tout, et croient pouvoir s'autoriser, entre autres, à être antijuifs. On part de la critique démystificatrice des religions pour dériver vers la diabolisation des juifs. On commence par la dénonciation du capitalisme pour finir par dénoncer le « juif banquier » ou les « financiers cosmopolites ». On débute par des diatribes populistes contre « ceux d'en haut » et l'on en vient à mettre en accusation les « puissances occultes », les représentants du « sionisme mondial », etc. Cela peut conduire à des trajectoires étonnantes : Dieudonné est passé de l'antiracisme tonitruant au lepénisme rampant, le philosophe Roger Garaudy du marxisme-léninisme à l'antisionisme radical mâtiné d'islamisme, et le terroriste Carlos, du tiers-mondisme marxisant à l'islamisme révolutionnaire...

La judéophobie est-elle une maladie curable ?

Oui, on peut agir contre la haine des juifs. Mais j'ai abandonné depuis longtemps les illusions « progressistes » de l'antiracisme triomphant des lendemains du procès de Nuremberg, fondé sur la croyance naïve qu'après le génocide commis par les nazis nul n'oserait plus s'attaquer aux juifs en tant que juifs. C'était une illusion. Ils sont toujours menacés. N'oubliez pas la vague antijuive des années 2000-2006 en France. Toutes les fois que nous croyons les pages sombres de la haine antijuive définitivement tournées, de nouvelles s'écrivent sous nos yeux. La haine la plus longue est peut-être une haine sans fin. Etudier les passions judéophobes, c'est en découvrir le caractère répétitif et la force dévastatrice. Face à elles, on ne peut guère que construire des digues. Vouloir les contenir est raisonnable. Prétendre les éradiquer relève de l'utopie aveugle



http://www.lemeilleurdesmondes.org/A_chaud_pierre-Andre-Taguieff-hair-les-juifs-de-Voltaire-a-Ben-Laden-MDM.htm

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2 commentaires:

Anonyme a dit…

"la haine anti-juive de dieudonné"???????

où ça? pouvez-vous citer un article, une émission, un sketch, une déclaration de dieudonné qui nous montrerait sa haine des juifs?

insanity jane
http://jaipasenviedenparler.hautetfort.com

B. a dit…

UN article?
je peux en citer plusieurs
UNE émission?
je peux en citer plusieurs
UN sketch?
je peux en citer plusieurs
UNE déclaration?
je peux en citer plusieurs

Je pourrais t'expliquer en quoi Dieudonné est antisemite. Mais si, aujourd'hui, apres tout ce qu'il a déclaré, tu estimes qu'il n'a jamais rien dit d'antisemite, c'est que vraiment tu ne veux pas le voir...


Lorsque chez Fogiel, il s'adresse aux "jeunes de banlieues", leur dit "si tu veux reussir dans la vie, fais comme moi, CONVERTIS toi (dit-il avec son chapeau et ses papillotes). Tu verras, tu auras des debouchés professionnels"

Si tu penses qu'il n'a jamais dit çà, vas revoir ce "sketch" sur internet.
Si tu ne vois pas en quoi c'est antisemite. Relis plusieurs fois la phrase, poses toi et reflechis-y.
Si apres avoir relu plusieurs fois, ou reecouté plusieurs fois, tu ne vois toujours pas en quoi c'est antisemite, je ne peux rien pour toi.

Si, pour qualifier un propos d'antisemite, tu attends d'entendre "sale juif" ou "mort aux juifs", en effet, tu ne verras presque jamais d'antisemitisme. Et à ce moment là, je t'envie de vivre au pays de Candy.

Je vais peut-être t'étonner mais les antisemites, les racistes en general, ne sont pas tous des gens honnetes. Certains mentent. Certains expriment leur haine de l'autre de façon detournée. Oui, je sais, c'est vilain. Mais les racistes ne sont pas tous gentils.

Bon, comme je suis d'humeur pere-noelienne, je vais te faire un cadeau et t'expliquer en quoi c'est antisemite.

Dans ce "sketch", il utilise des clichés antisemites et incite à la haine des juifs.

Quel est le cliché antisemite?
Lorqu'il dit que pour reussir dans la vie, il faut etre juif, lorsqu'il dit que depuis qu'il est devenu juif, il a des debouchés professionnels, en effet, on peut se poser la question "en quoi c'est antisemite?"
La question est legitime.


1. Déjà le propos de Dieudonné est faux : pour reussir dans la vie, il ne faut pas etre juif. Non seulement la plupart des gens qui reussissent ne sont pas juifs mas en plus tous les juifs ne reussissent pas, la majorité des juifs ne "reussit" pas. Les juifs sont comme tout le monde, certains reussissent, enormement sont au RMI, au chomage, beaucoup ont un travail "normal". En gros,comme la majorité des français. Ni plus, ni moins.

2.Dire qu'il a reussi dans la vie car le fait de se CONVERTIR (il utilise bien ce mot, CONVERTIR) lui a ouvert des portes et que maintenant il a des "debouchés professionnels", c'est considerer qu'etre juif c'est beneficier d'un regime de faveur, qu'on a du boulot plus facilement et qu'on est garanti de "reussir sa vie".


Il s'adresse dit-il à des "jeunes de banlieues".
Comme on le sait les "jeunes de banlieues" ont enormement de mal à trouver du boulot, ils subissent enormement de discriminations à l'embauche. D'ailleurs, pas besoin d'etre jeune ou d'etre de banlieue pour etre discriminé à l'embauche. Meme si on a 45 ans et qu'on habite à Paris, il suffit d'avoir un nom à consonnance africaine ou nord africaine pour voir son cv atterrir directement dans le dossier SPAM. Alors, si en plus on est jeune et qu'on habite en banlieue, là c'est de l'HYPER discrimination à l'embauche...

Pour avoir des debouchés professionnels, Dieudonné a trouvé la solution : il s'est CONVERTI!! Maintenant, non seulement il a du boulot mais en plus il a "reussi sa vie"! Elle est pas belle la vie?

Qu'est-ce que cela peut créer, à ton avis, chez le jeune de banlieue?
Je suis jeune de banlieue, on passe ma vie à m'envoyer chier uniquement parce que je suis noir ou arabe et parce que j'habite dans un guetto. La société me rejette uniquement en raison de mes origines, j'ai pas de boulot, je n'en trouve pas, si j'ai pas de boulot, je ne peux pas reussir ma vie, je ne me vois pas d'avenir stable. Pas de possibilité de me creer une situation, et tout çà, uniquement parce que je suis different de la masse.


Lorsque Dieudonné leur dit que pour avoir des debouchés professionels, il faut se CONVERTIR. Car eux, les juifs, ils reussissent.
A t on avis, qu'est ce que cela créé chez le "jeune de banlieue"?
Lui, parce qu'il est noir ou arabe, il ne trouve pas de boulot, alors que d'autres, uniquement parce qu'ils sont juifs, ils ont du boulot, des "debouchés professionnels" et reussissent leur vie.
A t on avis, qu'est ce que ce decalage de traitement fait naitre chez le "jeune de banlieue"?
Au minimum de l'animosité, et çà se comprend, au pire, de la haine...

Dieudonné, en s'adressant aux jeunes de banlieues et en leur disant que pour reussir dans la vie et pour avoir des debouchés professionnels, il faut devenir juif, incite DELIBEREMENT à la haine des juifs...

Dieudonné sait pertinemment combien souffrent les "jeunes de banlieues" de leur situation.
En faisant ce sketch, Dieudonné s'est servi de leur souffrance pour inciter à la haine des juifs.

Tout comme en opposant la Shoah et l'esclavage, Dieudonné s'est servi de la souffrance des noirs pour cracher sur la souffrance des juifs.

Le probleme de Dieudonné, ce n'est pas qu'il est antisemite. C'est qu'il veut que les autres le deviennent...